vendredi, mai 18, 2007

ENTRETIEN en LIGNE



J'ai achevé la recherche (la circulation et l'usage des supports enregistrés dans les musiques populaires en Ile de France) que je menais depuis bientôt deux ans. Elle sera bientôt mise en ligne et aisément téléchargeable. En parallèle, le programme interministériel
Culture et Territoires en Ile de France (un des commanditaires de l'étude) vient de se doter d'un site Internet. Le premier numéro comprend un entretien avec moi consacré à cette recherche et à la question de la prescription culturelle .
On y trouvera bientôt de nombreuses informations, des liens et des études déjà réalisées par d'autres chercheurs.
Ci dessous l'entretien avec Geneviève GOUTOULY-PAQUIN, Claude PAQUIN (tous deux de l'agence Tertius) et François FARAUT (conseiller à l'ethnologie de la DRAC Ile de France et animateur du programme Culture et Territoires en Ile de France)

coup de projecteur | 19 Mar 2007

Interview de François RIBAC

Pour inaugurer la présentation des recherches en cours, nous avons rencontré François RIBAC, compositeur de théâtre musical et chercheur en sociologie, qui met en œuvre une recherche portant sur la circulation et l’usage des supports enregistrés dans les musiques populaires en Île-de-France.

Comment se situe votre travail de recherche par rapport au fait que vous soyez compositeur ?

F.R. : C’est difficile de faire un résumé de son parcours, mais il y a trois choses principales.

D’abord, j’ai toujours eu une fibre un peu théorique : les questions d’évaluation esthétique et les relations entre la politique et les arts m’ont toujours intéressées.

Ensuite, depuis environ vingt ans maintenant, je travaille soit pour des compagnies de théâtre public, soit pour mes propres opéras ; j’ai donc une expérience assez construite de la politique des arts du spectacle.

Enfin, la troisième raison est générationnelle. Né en 1961, mon arrivée dans la musique a coincidé avec le rock, et, plus généralement, mes goûts musicaux sont peu cloisonnés, variés.

Ainsi, comme compositeur, je pratique une sorte de pop que je conçois avec des outils qui ressortent autant du classique que de la musique populaire ; j’aime les Beach Boys et Kurt Weill. Pour dire ça d’une autre manière : les contacts, voire les négociations, que j’avais avec mes évaluateurs publics, m’ont amené à réfléchir sur les façons dont s’effectuait la qualité artistique. Je me suis demandé comment une institution, un programmateur, une personne décidait que telle ou telle chose était ou pas “pour le public“. Cela m’a amené à tenter de mieux comprendre les musiques populaires et au-delà les façons dont nous entrons dans la musique.

Pour conclure, je dirais qu’il est intéressant de prendre un peu de champ ! Un artiste est tout le temps évalué, et notamment lorsqu’il a la responsabilité d’une compagnie. J’en avais peut-être un peu assez de me demander ce que je valais, j’avais plutôt envie de me demander par quel type de médiation cela se faisait. Pour un artiste, c’est très largement un travail de démystification : je dirais que ça m’a fait beaucoup de bien de prendre une distance avec la question de la qualité artistique.

Et en miroir, quels effets cela a eu sur vous en tant qu’artiste ?

F.R. : Il doit y avoir un effet de désinhibition : depuis 2000 environ, j’assume complètement le fait d’être rock.

Il y a aussi un appui entre l’un et l’autre. Être compositeur est un atout qui me permet d’approcher la musique pas seulement comme un-e sociologue qui, souvent, observe comment les gens font de la musique sans s’occuper de la musique elle-même ou comme un-e musicologue qui dit que la musique c’est simplement les notes et qui délaisse les différentes interprétations sur disque et tous les réseaux qui (eux aussi !) composent la musique. Je m’intéresse au lien entre la musique avec laquelle on vibre et tout ce qui fait qu’elle existe. Il est évident que le fait d’être compositeur donne un point de vue particulier (je ne dis pas qu’il est le seul valable). Cela facilite grandement les rapports avec les institutions, les organisations de professionnels et évidemment lorsque l’on mène des investigations ; connaître les logiciels des gens que l’on rencontre, aimer les mêmes disques est un avantage. Le travail d’un chercheur ne consiste pas à éviter d’être en phase avec ce(ux) qu’il étudie mais à se placer à un certain endroît et dans une temporalité spécifique.

C’est ainsi qu’on en arrive à déposer un projet de recherche sur la circulation et l’usage des supports enregistrés ?

F.R. : Quand j’ai vu la présentation du programme, je me suis dit que c’était fait pour moi. Ma proposition est de mieux discerner les espaces par lesquels les musiques rock, hip hop, techo circulent et créent des liens. Évidement, il s’agit d’une esquisse de ces trajets.

Vous pouvez préciser ce qu’est pour vous un « territoire » ?

F.R. : C’est compliqué. Tout le monde utilise les mêmes mots en leur donnant des interprétations différentes. Ce sur quoi je travaille actuellement, c’est la façon dont, depuis les années 50, à l’échelle du monde maintenant, les façons d’apprendre la musique populaire se sont modifiées, et comment, centralement, les machines et les disques sont devenus en grande partie des « instructeurs ». C’est-à-dire qu’ils jouent le même rôle que les livres imprimés qui ont permis, il y a quatre siècles, aux savants humanistes de s’émanciper des maîtres dogmatiques et de comprendre autrement le monde. Les supports enregistrés permettent aux gens de s’instruire, d’avoir des choses que les autres ont également (par exemple un disque de Nirvana), de les confronter à leurs usages et d’inventer de nouvelles pratiques.

La platine disque est à la musique populaire ce que la lunette de Galilée a été pour l’humanisme et la philosophie des Lumières. La plupart des gens, et c’est mon cas aussi, apprennent avec ces instructeurs non humains, ces disques, ces machines à enregistrer le son qui viennent du marché. Si on prend l’exemple des Beatles : c’est Presley qu’ils copient. Les Beatles ne sont pas des clones de Presley, c’est au contraire, tels que les historiens du rock les présentent, le comble même du groupe original créateur. Il y a donc là un phénomène vraiment fascinant dans lequel les gens utilisent des répertoires et des objets pour devenir eux-mêmes, pour devenir originaux.

Donc, où est-ce que le territoire prend place sachant que ni les supports enregistrés, ni les mange-disques ne viennent exclusivement de la sphère locale. C’est assez clair : les Beatles sont bien des gens qui habitent la même ville, dont deux ont été à l’école ensemble. Ils se rencontrent dans un concert, comme les Rolling Stones se rencontrent dans un train de banlieue de l’endroit où ils habitent. Il y a donc bien du local, on est bien dans un territoire au sens quasiment administratif. Mais, les collections de disques viennent d’ailleurs ou même d’une autre époque : voilà déjà plusieurs espaces qui cohabitent. Et peu à peu, quand les choses se développent, alors il y a des tas d’autres appuis qui arrivent : des instruments de musique, des musiciens qui viennent d’autres endroits, des stations radio… On a bien différents types d’espaces, des espaces territoriaux disons matériels ; des espaces de circulation : par exemple ceux que le marché porte ; aujourd’hui on a ceux que l’Internet transporte dans l’espace domestique. La chose qui m’intéresse là-dedans, c’est de voir en quoi, pour schématiser, ce qu’on appelle, à mon avis improprement, le local et le global se conjuguent en fonction des styles de musique que font les gens. C’est le projet central de cette recherche

On va donc en venir à la recherche que vous êtes en train de faire.

F.R. : J’effectue cette recherche en Île-de-France : je travaille dans deux départements, Yvelines et Seine-Saint-Denis (qui m’a soutenu financièrement). Le travail que je mène n’est pas directement de savoir si l’Île-de-France compte comme territoire dans les parcours de différents types de musiciens, de sonorisateurs, d’animateurs de collectifs culturels, mais de voir plutôt comment ils et elles travaillent, comment on vient à la musique, comment on collabore avec d’autres, comment on s’insére dans différents types d’espaces pour acquérir des compétences et grandir. Les autres héros de cette histoire sont les différents types de supports dont j’essaie, avec l’aide de leurs usagers, de retracer leur rôle et les parcours. Je ne demande donc pas aux gens s’ils ont conscience des territoires administratifs, mais dans les trajets et les parcours que je vois, ceux-ci sont très présents, beaucoup plus centraux que je ne le pensais au départ.

L’apprentissage de la musique populaire procède vraiment d’un ancrage local ; quelque soit le type de territoire, du pavillon, de la zone urbaine de la proche banlieue… je retrouve les mêmes choses, les gens font des projets ensemble (c’est-à-dire des groupes) d’abord parce qu’ils sont proches les uns des autres, ils font des groupes pour être ensemble et partager ces sons qui viennent d’ailleurs. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’ils se demandent de quels instruments ils vont jouer.

Donc, la base même de la musique populaire dans l’apprentissage est le fait d’être avec des gens près de chez soi, des amis et de se réunir autour de répertoires. Tous les facteurs incitateurs, prescripteurs, que j’ai trouvés, sont liés à du local et à l’amour d’une musique précise. Si on excepte la question des répertoires qui, eux, ne sont pas locaux – Nirvana, les Beatles, ce n’est pas local –, la raison de faire de la musique populaire, c’est de jouer avec des gens qui ne sont pas loin. De façon un peu schématique, je dirais que plus on est professionnel et moins on travaille avec des gens qui sont proches de chez soi. Si on continue à travailler avec des gens qui sont proches, c’est parce que le projet professionnel s’est affermi ensemble, mais ce n’est plus un principe de base, alors, qu’à l’origine, les gens font des groupes avant même de savoir ce qu’ils vont jouer.

Un deuxième aspect m’intéresse : de quelle façon l’Internet s’insère t-il dans les pratiques ? À ce stade de la recherche, ce qui m’étonne beaucoup dans ce que je vois, c’est que même lorsque l’Internet est utilisé, via des sites, pour acquérir une visibilité, il peut faciliter des rencontres “locales“. Ainsi, sur des sites internationaux sur lesquels les gens se sont inscrits, les contacts et connexions se font dans la banlieue d’à-côté ou à l’autre bout de l’Île-de-France. On voit alors ce qui échappe à une compréhension grossière qui dirait que l’Internet c’est dématérialisé, c’est du global, un marais. Que font les gens qui s’inscrivent sur myspace.com ? Ils rencontrent les gens qui ne sont pas très loin. C’est quelque chose que j’essaie de regarder précisément : comment les moyens informatiques, en fait, relient aussi des gens qui ne sont pas loin. D’une certaine façon, ça ne devrait pas nous surprendre tant que ça puisque que l’on sait déjà que des ados qui vont au lycée ensemble chatent ensemble le soir sur MSN.

L’autre chose qui aussi retenu mon attention, c’est l’utilisation du réseau pour transférer des données à l’intérieur d’une formation musicale. Ces réseaux de travail peuvent concerner des gens qui sont tout près, à quatre pâtés de maisons, mais aussi des membres du groupe qui se sont éloignés. On est donc en face d’une pratique qui compense la distance entre des personnes qui habitent à l’autre bout de leur région. Cependant, si les données musicales transitent par le net c’est aussi parce que leur nature s’y prête, c’est-à-dire que le son est un matériau primordial dans leur façon de faire. Les groupes ne transfèrent pas des infos brutes ou des textes, mais des données (souvent audio) qui passent par des logiciels, sont retravaillées par l’usager suivant et ainsi de suite. Il faut d’ailleurs remarquer que le mail ne permet pas ce type d’échanges. Comme les données sont très lourdes, il faut créer des sites dans lesquels on peut stocker des informations. L’internet est donc une sorte de coffre fort, un support au sens strict.

Mais les choses sont encore plus compliquées ! Car, en plus des échanges numériques entre les deux compositeurs d’un groupe qui résident à Paris et Saint-Germain-en-Laye, s’ajoutent d’autres circulations. En effet, les deux chanteuses-parolières de cette formation se rendent, souvent seules, dans un local de répétition de Saint-Germain-en-Laye – un lieu qui reçoit des subventions. Là, elles répètent avec la musique enregistrée qui résulte des dialogues par le Net des deux autres et qu’on leur a donné sur une clé usb. De plus, les deux compositeurs se retrouvent régulièrement pour improviser ensemble avec leurs instruments et les ordinateurs. In fine, tout le monde se réunit pour mettre tout ça ensemble. Il s’agit bien d’un groupe de Saint-Germain-en-Laye sauf que l’on emprunte des voies, des autoroutes qui sont complètement nationales, internationales, inventives aussi. Ce qui m’a beaucoup surpris dans ce fonctionnement, c’est que les réseaux et les outils sont encore plus hybrides que ce que je présupposais.

Donc, pour conclure là-dessus, je dirais que je me suis retrouvé avec un mélange entre des réseaux de sociabilité locaux, des équipements locaux (la salle subventionnée), des outils variés (de l’ordinateur à la clé usb) et un usage de l’Internet extrêmement varié. J’avais une hypothèse de base qui était : on a une pratique locale domestique, on se nourrit de choses qui viennent d’ailleurs, on fait des projets de groupe avec des gens autour et puis on devient soi-même. Tout ça est vrai, mais c’est beaucoup plus diversifié que ça.

Je m’étais également imaginé qu’en fonction du genre musical, on utilisait plus ou moins les locaux de répétitons, l’internet, les disques : que la techno était branchée sur le net, le rock moins, le hip hop puisait dans les vinyls et les disquaires etc… Mais c’est beaucoup plus raffiné que cela. D’une part, car les espaces de circulation se conjuguent. Ensuite, et surtout, parce que pour un même canal on trouve différents usages, y compris pour une même formation musicale.

Je conclus sur ce point en mentionnant que j’ai travaillé avec un sociologue concepteur d’un logiciel de cartographie, Andrei Mogoutov. À partir de données hybrides (trajectoires des gens, fréquentations des endroits d’où proviennent les objets, chaînes stéréo, façon de travailler, types de réseaux, circulation, usages de l’internet, prescripteurs, répertoires écoutés, machines à la maison…) nous avons fabriqué des cartes pour représenter, non pas seulement le territoire administratif, mais les différents types d’espaces empruntés, toutes ces strates dont je parlais à l’instant… C’était pour moi assez expérimental mais je pense que les résultats ont permis de voir, au sens strict du mot voir, des choses que je ne comprenais pas en analysant les entretiens que j’ai réalisé. On se retrouve avec une représentation très riche, très dense de ce qu’est faire de la musique en Île-de-France.

Je crois comprendre que les pratiques dont vous parlez, au moment de leur amorce, sont très liées à des relations et à des réseaux de sociabilité. Lorsqu’il y a processus de professionnalisation, qu’est-ce qui se passe par rapport à cette sociabilité ? Il s’agit d’en sortir à tout prix et de partir ailleurs ? Quels sont les appuis pour ceux qui sont sur cette trajectoire de professionnalisation ?

F.R. : Les mêmes que dans le théâtre public, il faut entrer dans le marché ! Ce que vous appelez justement des appuis : donc d’abord faire un disque soi-même, essayer de trouver quelqu’un ensuite qui va le distribuer, organiser sa circulation dans des espaces plus larges que le vôtre. Puis trouver une maison de disques, un manager. Effectivement, à ce moment-là, les ressources ou les interlocuteurs qu’on va essayer de voir ne sont pas forcément locaux. En même temps, les gens que j’ai rencontrés, ont une capacité fascinante pour mobiliser des ressources autour d’eux, trouver des appuis, un webmaster, un graphiste, un local, récupérer un instrument.. Il y a toujours une phase où l’on s’appuie beaucoup sur un entourage… On mobilise des compétences et des ressources gratuites. La sociabilité c’est aussi ça, un cadre qui vous aide à grandir. Cependant, cette sociabilité-là est essentiellement une sociabilité masculine : ce qui veut dire qu’à l’idée de territoire, à la définition de la sociabilité musicale, il faut rajouter une variante capitale qui est celle du genre, et qui est vraiment importante.

J’ai aussi l’impression que plus ça va vers du professionnalisme, plus les filles sont marginalisées. Même quand elles accèdent dans les premiers temps à ces réseaux musicaux, ça passe par des réseaux familiaux (les pères anciens musiciens) ou affectifs (le boy-friend) masculins. il n’y a pas du tout de place pour les filles. Je crois que c’est une des choses qui m’a le plus marqué dans cette phase de la recherche : il existe bel et bien un territoire que l’on peut appeler la masculanité et il doit être d’autant plus souligné que les politiques publiques négligent ce point. Je remarque que les dispositifs publics visant à redresser cette inégalité, que par ailleurs chacun-e constate tous les jours, sont concentrés sur la sphère professionnelle (égalité des traitements) ou de la représentation politique (parité). Mais en s’intéressant peu à la sphère amateur, aux pratiques informelles, on laisse en fait l’inégalité se construire et s’affirmer dans toutes les classes sociales et dans toutes les typologies territoriales. Il me semble qu’il serait beaucoup plus urgent de regarder de ce côté-là plutôt que de trop polariser notre attention sur les “signes ostentatoires“.

Est-ce qu’il y a là, éventuellement, des conclusions à tirer en termes d’outils culturels ?

F.R. : Je vais vous répondre même si j’hésite toujours à formuler des directions de politique culturelle qui pourraient être considérées comme par trop prescriptives – alors que par ailleurs, je m’interroge fortement sur la prescription. Je vais le faire à partir des questions soulevées par les recherches en cours.

Premièrement, je rappelle que (la plupart) des médiathèques ont jeté les vinyles au moment où l’industrie musicale a décidé de passer au CD. On a là un exemple d’équipements publics qui suivent les recommandations de l’industrie alors qu’elles se présentent comme étant un rempart à ces industries ou tout au moins comme donnant des prescriptions sur le marché culturel en disant : « ça c’est bon et le reste, nous, on ne s’en occupe pas car c’est commercial ». Il aurait été plus pertinent de garder tous les vinyles, de préserver ce patrimoine, d’autant plus qu’au même moment, la culture populaire les utilisait dans un processus créatif nouveau. En effet, le hip-hop explosait et le hip-hop comme la techno travaillent avec les vinyles.

Peut être que les médiathèques, sans renoncer à ce qui fait leurs compétences, devraient prêter aux gens des logiciels, des ordinateurs, leur prêter du hardware, leur fournir des connexions à la maison, mettre à disposition de l’espace disque sur le net. Les rappeurs que j’ai vus n’ont pas tous d’ordinateurs, souvent ils n’ont pas de connexion Internet, ils n’ont jamais eu de leur vie une chaîne stéréo dans leur chambre. Et ce n’est certainement pas dans un café web (même public) que je peux apprendre à maîtriser un logiciel : c’est comme si je ne pouvais pas emprunter des livres à la bibliothèque du quartier ! Mais évidemment, en proposant de prêter des objets techniques, on se heurte à la vulgate très tenace sur les méfaits de « la technologie ».

Plutôt que de seulement dire les disques que l’on devrait écouter, il vaudrait mieux développer des logiques qui favorisent l’autonomie. On produirait de la valeur sociale et publique plus forte en distribuant et en socialisant des équipements. Après tout, l’encouragement vis-à-vis du micro crédit est du même ordre, il consiste à soutenir les gens dans leurs inititiatives plutôt qu’à leur fournir des prescriptions. Je ne récuse pas les experts, je dois aux disquaires des découvertes formidables, essentielles. Mais je défends le principe d’une négociation qui définisse les procédures publiques et se rapproche des besoins. On devrait débattre d’ajustements, ce qui veut dire créer des cadres adéquats pour que toutes les voix parviennent dans l’espace public.

D’autant que ces besoins ne sont pas identiques pour tout le monde. Le rapport à la technique, aux objets techniques est extrêmement varié selon les genres musicaux. Ainsi les gens qui font du rock n’aiment pas trop les logiciels, l’électronique, ils ne s’envoient pas beaucoup de choses par le Net, ils travaillent plutôt en répétition, ils s’enregistrent peu quand ils improvisent… l’idée d’une sociabilité musicale en direct, qui est proche de celle du jazz, est vraiment fondamentale. Leur besoin est de pouvoir enregistrer des disques, de disposer d’équipements ou de ressources de ce type, de publier des disques, de s’initier à l’enregistrement.

Si on regarde dans le rap, il y a des formes de collaboration avec d’autres qui sont beaucoup plus au coup par coup, les gens qui débutent sont beaucoup plus solitaires et ils ne disposent pas forcément des outils de base. En matière de techno, les gens ne cherchent pas forcément le dernier cri, donc il faudrait penser à un parc public de machines anciennes (la vintage, c’est ça !) pour pouvoir les prêter.

On touche à deux questions-clé des politiques publiques. D’une part, la difficulté à penser une action qui nécessite des micros procédures. D’autre part, le fait que ce que l’on appelle des équipements ne concerne pas que du dur, des bâtiments et des dispositifs ayant “pignon sur rue“. On ne peut plus penser que se cultiver consiste uniquement à se rendre dans la maison (de la culture) de l’État ou des collectivités. Nous nous fabriquons aussi avec d’autres équipements, j’évalue la qualité d’un concert en le comparant avec un enregistrement. C’est cette complémentarité entre l’espace domestique et collectif (je n’emploie ni public, ni privé) qu’il faut repenser de fond en comble.

Qu’est-ce que cela veut dire ? La prescription d’un seul, ou de quelques-uns, ne tient plus parce que maintenant il y a des blogs qui disent ce qu’il faut écouter, il y a de nombreuses radios, il y a des groupes locaux qui donnent l’envie à d’autres, il y a donc une multiplication de prescripteurs que l’on doit prendre en compte. On ne peut plus faire des ordonnances aux gens en les prenant pour des malades qu’il faudrait guérir, « sensibiliser » comme on dit : il faut repenser la prescription. Le fait même que l’on parle constamment de « remèdes » aux problèmes sociaux est significatif d’un point de vue qui considère qu’il manque quelque chose aux gens. En d’autres termes, je pense que les inégalités ne sont pas forcément (ou uniquement) là où les pense et qu’il est important que leur définition résulte de processus concertés, d’une négociation entre tous les acteurs.

Finalement, je crois qu’il faut cultiver l’amateurisme. Il ne s’agit pas simplement de sélectionner les meilleurs, c’est-à-dire en fait de les professionnaliser, mais de construire des cadres qui favorisent l’autonomie. J’entends les récriminations contre la Star’Ac, mais je sais aussi que le “repérage“ mené par les établissements publics y ressemble fort…

Pour dire les choses autrement, le local est à la fois le lieu où se construisent les gens et celui où les inégalités (notamment liées au genre) s’affirment. Pour reprendre l’expression du sociologue Jean-Yves Trepos, il s’agit d’un local fractal, complexe, en prise sur le monde. Mon enquête semble montrer que les réseaux locaux, notamment des lieux de répétition que je prenais pour des lieux réservés aux gens de rock, ont de multiples usages, beaucoup plus compliqués, variés et riches, beaucoup plus intéressants que je ne le pensais au départ. Il faudrait considérer qu’il en est de même pour les autres canaux et favoriser leur appropriation.

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Des informations sur les cartographies de réseaux d’Andreî MOGOUTOV : http://www.aguidel.com/fr/?sid=5

Entretien réalisé le 11 octobre 2006 par Geneviève GOUTOULY-PAQUIN, Claude PAQUIN et François FARAUT.

mardi, mars 20, 2007

Cartogaphies de réseaux à Metz le 27 mars

Ma prochaine causerie concerne encore mon enquête sur les usages et la circulation des supports enregistrés dans les musiques populaires. Cette fois-ci, je présenterai la façon dont j'ai réuni et classé des données pour établir des cartes de réseaux des pratiques musicales. J'évoquerai également comment je les interprète et les agrémente de commnentaires et de symboles. Réalisées avec Andreï Mogoutov d'Aguidel, ces cartographies représentent, en images, les objets et les personnes rencontrés lors de ma recherche. Cette conférence s'effectue dans le cadre du séminaire de Jean-Marc Leveratto intitulé Anthropologie de la réception
Le 27 mars à 10h 30, à l'Université Paul Verlaine de Metz, UFR SHA amphi Blaise Pascal.
Ci-dessous quelques exemples de cartes









lundi, mars 05, 2007

La circulation et l'usage des supports enregistrés dans les musiques populaires en Ile de France, le 15 mars à l'Arche de la Défense




Ma prochaine intervention sera le 15 mars à 15 h 15 au Ministère de l'Équipement à la Défense. J'y présenterai la recherche que je mène depuis un an et demi sur l'utilisation des supports enregistrés et des machines de reproduction dans les musiques populaires. Mon intervention sera accompagnée d'extraits musicaux, de photogrammes et des cartographies de réseaux réalisées avec Aguidel.
Elle sera suivie d'un échange avec la salle. Cette séance précèdera la remise de mon rapport aux commanditaires, le programme "Culture et territoires en Ile de France", la Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles (Ministère de la Culture) et le Conseil général de Seine-Saint-Denis.
Pour lire le projet et/ou télécharger le projet de recherche c'est

Programme

14 h 30 – accueil
– Michèle TILMONT, Secrétaire permanente du Plan Urbanisme Construction Architecture, Ministère de l'Équipement
– Jean-François DE CANCHY, Directeur régional des affaires culturelles d’Île-de-France
– Olivier MILAN, Directeur de la division urbanisme et schéma directeur, Direction régionale de l’Équipement d’Île-de-France

14 h 45 – où en est le programme de recherche ?
par Pierre OUDART, chef du Service du développement et de l’action territoriale, DRAC Île-de-France

15 h – présentation d’une démarche
par l’équipe de la recherche sur les Clusters, Milieux d’Innovation et Industries culturelles en Île-de-France

15 h 15 – présentation des résultats d’une recherche
La circulation et l’usage des supports enregistrés dans les musiques populaires en Île-de-France par François RIBAC, exposé et échanges avec la salle

16 h 15 – pause

16 h 30 – Présentation de la lettre et du site internet « Culture et territoires en Île-de-France », par Claude PAQUIN et Geneviève GOUTOULY-PAQUIN, consultants à l’agence Tertius

16 h 45 – Perspectives du programme
débat introduit par André BRUSTON, Président du Programme interministériel de recherches territorialisées « Cultures, villes et dynamiques sociales » et animé par François MÉNARD, Plan Urbanisme Construction Architecture, Ministère de l'Équipement

Cette rencontre se tiendra le jeudi 15 mars de 14 h 30 à 18 h au Ministère de l'Équipement, Salle 2, Arche sud, Arche de LA DÉFENSE. ENTRÉE LIBRE sur inscription obligatoire par courriel : sda.idf@culture.gouv.fr

jeudi, janvier 11, 2007

Prochaines interventions 23 janvier 2007 à Nantes pour l'Onda et le 9 février au 1er Colloque de l'IASPM francophone d'Europe



Ma prochaine intervention est aux rencontres nationales musiques qu'organise l'Office National de Diffusion Artistique (Onda) au Lieu Unique à Nantes les 23 et 24 janvier 2007.
J'interviens le 23 janvier, aux environs de 14h 30 et j'y parlerai de la place des techniques d'enregistrement dans les pratiques musicales. Comme d'habitude, ce sera avec films et extraits musicaux. Je reviendrai notamment sur l'origine du mot "live" (inventé par les syndicats américains de musiciens) et sur l'existence (ou pas) d'un "spectacle vivant". Le débat et les ateliers du 23 janvier après-midi, ainsi que la réunion plénière du 24 janvier matin sont ouverts. Réservation obligatoire auprès de Fabienne Bidou, f.bidou@onda-international.com

Ensuite, les 8 et les 9 février, ce sera le 1er colloque de l'Iaspm Francophone d'Europe à Louvain La Neuve en Belgique. Intitulé musiques populaires , une exception francophone ?, on va y débattre de la place, des spécificités et des définitions des musiques populaires en francophonie. Le programme complet est accessible ici. J'ai pour l'occasion rédigé un texte intitulé De la Révolution Scientifique au rock ou pourquoi les Beatles sont anglais. Il s'agit pour moi de montrer les liens qui unissent les techniques du rock (et au premier chef le studio) et les modalités par lesquelles la science expérimentale a été mise au point au Royaune Uni au XVIIe siècle. En suivant une ligne qui va du laboratoire de Boyle à l'industrie électrique américaine, sans négliger les modes d'organisation politique, je propose l'idée que les musiques populaires américaines et anglaises (et d'abord le rock) sont le fruit d'une alliance entre la culture des ingénieurs électriques anglo-saxons et les méthodes des musiciens populaires. S'il faut résumer d'un mot le lien qui les unit, appelons le feedback. J'ai déjà soutenu cette idée à la conférence 2006 de l'ARP (art of record production) en septembre 2006 à Edinburgh (Écosse). Là aussi le programe du colloque (passionnant) et certains textes (abstracts ou papiers complets) sont en ligne ici

lundi, octobre 30, 2006

Deux interventions le 28 novembre (à Paris et Livry Gargan) et un livre

À l'invitation de Denis Laborde, je viens présenter dans son séminaire “faire la musique" la recherche que je mène actuellement. Il s'agit d'une étude intitulée "la circulation et l'usage des supports enregistrés dans les musiques populaires en Ile de France" commandée par le programme interministériel "culture et territoires" , la DMDTS (Ministère de la Culture) et le Conseil général de Seine-Saint-Denis. J'ai rencontré une vingtaine de musicien-n-e-s de rock, hip hop et techno et j'ai essayé avec eux de retracer leurs parcours musical en suivant à la trace les musiques qu'ils (elles) aimaient à leurs débuts. Dans un deuxième temps, je leur ai demandé de me décrire leurs façons actuelles de faire de la musique, seul-e-s ou avec d'autres, et comment elles exportent leurs productions dans l'espace public. Comme le suggère le titre de l'étude, je me suis tout particulièrement intéressé aux appareils domestiques de reproduction sonore, aux instruments de musique et samplers, aux ordinateurs, logiciels et aux usages de l'internet.
Avec les usagers de ces outils, j'ai tenté de (re)tracer les chemins qu'ils (elles) parcourent et les espaces où s'inscrivent ces pratiques. En définitive, cette étude s'intéresse à la façon dont les supports et les machines constituent de véritables partenaires, tantôt instructeurs, tantôt compagnons de travail, tantôt agents de liaisons. Pour télécharger le projet de recherche
L'étude a été réalisée en Seine-Saint-Denis et dans les Yvelines avec le (précieux) concours de Zebrock, du Cry et de La Pêche. Comparatisme oblige, je me suis aussi rendu à Nantes (merci Trempolino). Le travail comprend trois phases : la réalisation d'entretiens, l'établissement de cartographies (grâce au logiciel RéseauLu d'Andreï Mogoutov) et de vidéos, enfin un rapport final. C'est justement à l'issue de la 2e phase que je présenterai mes premières conclusions, assorties de cartographies et de photogrammes Le 28 novembre 2006 à l'EHESS 105 Boulevard Raspail (Paris) dans la salle 11 de 11 à 13 heures

Toujours le 28 novembre, mais en soirée et au Conservatoire de musique de Livry Gargan, je parlerai de la mesure du temps en musique. J'y reprendrai les grandes lignes d'une conférence présentée en début d'année à Lyon à l'invitation du Département pédagogique du CNSMD de Lyon et du Cefedem Rhone-Alpes . Ici, il s'agit de montrer comment un certain type d'organisation sociale se traduit dans un dispositif de représentation du temps musical, qu'il s'agisse de la partition, d'un métronome, d'une boîte à rythme et, naturellement, des corps. Pour dire les choses autrement, je m'efforcerai de montrer les relations que le mesure du temps musical entretient, d'une part, avec la perception humaine, et d'autre part, avec les autres technologies. La causerie sera ponctuée d'extraits sonores, de diapos et de projections. Le mardi 28 novembre à 20 heures au Conservatoire de musique de Livry Gargan 41, rue Edouard-Herriot Téléphone : 01.45.09.02.02

J'en profite pour recommander le livre de Denis Laborde La Mémoire et l'Instant. Les improvisations chantées du bertsulari basque. Dans ce passionnant travail, Denis Laborde tourne autour de cette pratique propre au pays basque et traite tous les aspects -cognitifs, sonores, poétiques,historiques, politiques- qui s'y rapportent. Un modèle du genre, à mon avis, et, qui plus est, rédigé dans un style alerte.

François Ribac

mardi, octobre 17, 2006

LA CIRCULATION ET L’USAGE DES SUPPORTS ENREGISTRÉS DANS LES MUSIQUES POPULAIRES en ILE DE FRANCE























(Ci-dessus, une cartographie réalisée pour cette étude grâce au logiciel RéseauLu d'Andreï Mogoutov)



PROBLÉMATIQUE

1 Bref rappel historique
À partir des années cinquante, le Dansette de la firme Decca, un électrophone bon marché et portable, permit à la génération des Beatles et des Rolling Stones de s’émanciper des parents. On délaissa le gramophone et/ou la radio du salon pour installer les nouveaux appareils dans les chambres des adolescent-e-s. Quelques années plus tard, le même phénomène se reproduisit en France avec les électrophones Philips et les fameux Teppaz . Cette pénétration des “pick-up“ dans les chambres coïncida avec deux autres phénomènes d’importance. D’une part, l’apparition de répertoires interprétés par et pour les jeunes (le rock) et, d’autre part, un essor considérable de la pratique amateur. En effet, grâce à la maniabilité des nouveaux appareils et des disques vinyles, les fans de rock firent un peu plus qu’écouter leurs disques : ils les imitèrent et les reproduisirent. Des milliers d’adolescents, en majorité des garçons, acquirent des instruments électriques et créèrent des groupes, pour la plupart sans finalité professionnelle . Enfin, l’émergence de ces musiques s’accompagna de nouvelles formes de sociabilités (salles de concerts, lieux de danse, lieux de répétitions, réseaux de fans…) et de compétences (nouveaux métiers, érudit-e-s, presse musicale, fanzines, studios, labels, magasins de disques). Même si ces phénomènes ont subi de nombreuses mutations ces vingt dernières années, ils ont largement été confirmés par l’émergence, puis l’installation durable dans le paysage musical, du hip-hop et de la techno.

2 Des instructeurs efficaces
Les disques sont donc devenus les principaux instructeurs des musicien-n-e-s de musique populaire. Installé-e dans sa chambre face à sa machine de reproduction, l’apprenti-e répète inlassablement les morceaux qu’il (elle) aime et reproduit non seulement les notes et le phrasé mais aussi le son des disques. En étudiant un répertoire particulier, “l’imitant-e“ s’initie, peu à peu, aux techniques sonores propres aux musiques électriques et développe ses aptitudes instrumentales. Une des constantes de cette méthode (car c’est bien de cela dont il s’agit) réside dans le fait d’apprendre sans être dans une situation éducative et sans qu’il soit forcément nécessaire de se rendre dans un local prévu à cet effet . Le temps passé à “étudier“ dépasse bien souvent celui d’une activité professionnelle ou scolaire. Pour décrire cette forme d’attachement à des répertoires et à des objets (la guitare électrique, l’ordinateur, etc.) certains chercheurs parlent d’un apprentissage non formel, d’autres parlent de culture technique populaire . Dans tous les cas, la transmission du savoir s’effectue par le truchement d’objets, de réseaux peu repérés et à distance des équipements culturels.
Par ailleurs, le disque amène aussi, par des effets de proximité et d’oppositions, à la découverte d’autres répertoires, de façons d’être, de lieux où l’on aime la même musique et bien sûr à des rencontres. En bref, à travers les disques, c’est tout un monde perceptif, technique et social qui s’offre aux passionné-e-s.

3 Les mémoires vives de la musique
Nous avons jusqu’à maintenant évoqué la place centrale des musiques déjà enregistrées et des appareils de reproduction. Ceux-ci s’insèrent dans ce que l’on pourrait désigner comme le monde de l’enregistrement (aussi appelé phonographie) une technique d’acquisition et de relation à la musique médiée par des supports et des machines de captation du son. Ces outils sont utilisés de bien des façons. Ainsi, les enregistreurs (dictaphones, magnétophones, minidisques, cartes son des ordinateurs) sont de véritables assistants musicaux. Certain-e-s les utilisent comme un bloc note pour déposer des idées musicales ou des extraits (samples). D’autres, à la façon des danseurs devant les miroirs, s’enregistrent systématiquement. En fixant les différentes étapes de leur parcours, ils (elles) peuvent ainsi corriger ponctuellement leurs erreurs et s’évaluer dans la durée . Plus “classiquement“, les disques accompagnent les musiciens ou les groupes. Ainsi les batteurs de jazz jouent avec Charlie Parker (quel luxe !), les guitaristes apprennent à “jouer en place“ avec leur boîte à rythme, tandis que les claviéristes improvisent avec des séquenceurs. Il existe même des disques et des logiciels spécialement conçus à cet effet, et pour toutes sortes de répertoires, concertos de Vivaldi inclus. Finalement, la musique enregistrée matérialise l’expérience accumulée des auditeurs (trices). C’est vers notre discothèque personnelle (ou le lecteur de mp3) que nous nous tournons pour comparer des œuvres entre elles et évaluer leur qualité : les mélomanes de classique comparent les différentes versions d’une même œuvre (Bach par Gould ou Brendel ?), les amateurs de rock et de hip-hop apprécient le contraste entre les disques et les performances des groupes (cf. les disques “live“), les jazzistes collectionnent les “alternate take“. Fondamentalement, on peut considérer que les répertoires enregistrés jouent le rôle d’une sorte de “pôle d’évaluation“ esthétique et émotionnel pour chacun-e-s d’entre nous . Les techniques d’enregistrement constituent de véritables outils de mesure de la qualité musicale, ou ce qui revient au même, de notre plaisir.

4 L’enregistrement comme paradigme
À partir du moment où les musicien-n-e-s ont utilisé les disques comme des instructeurs, ils (elles) ont également consacré un temps croissant à concevoir et réaliser leurs propres enregistrements . Les mondes du rock, du hip-hop et de l’électro ont fait du studio, à des degrés divers , un espace où il importait moins de reproduire les sensations de la performance scénique que d’inventer de nouvelles formes . Cette tendance a été favorisée par la mise au point du re-recording (overdubbing) au début des années soixante, une pratique consistant à enregistrer séparément chaque instrument sur un magnétophone multipistes, permettant d’exécuter une musique par étapes, sans forcément la jouer ensemble et en direct. Au début des années 80, l’arrivée du home studio a permis au monde amateur d’adopter, à son tour, cette façon de faire . De nos jours, toutes les fonctions d’un studio tiennent dans un ordinateur portable. Il existe même des studios “on line“ accessibles avec une simple connexion à haut débit. Ce qui, en 1960, ne concernait que quelques professionnels est donc devenu une pratique commune à laquelle les enfants s’initient très tôt et avec les mêmes méthodes (non formelles) que leurs ainé-e-s rockers. À l’échelle des quatre dernières décennies, on s’aperçoit donc de l’attraction constante qu’exerce le studio, comme principe de traitement du son, sur la sphère amateur et, plus généralement, sur la performance scénique. De “l’attirail“ domestique à la sonorisation du live en passant par l’équipement des instrumentistes électriques, de la console du DJ techno, à la platine-disque du scratcheur, à chaque fois on retrouve les principes organisationnels du studio. Cette translation de la cabine technique et de la chambre de l’adolescent vers les scènes, encore peu explorée, requiert d’autant plus l’attention qu’elle est encore plus manifeste dans les deux dernières révolutions musicales.

5 Les techniques du hip-hop et de la techno
Le hip-hop et la techno ont, de façon assez similaire, opéré une synthèse entre l’écoute et l’enregistrement. Si l’on considère les deux branches musicales de la culture hip hop (le rap et le scratch ), on s’aperçoit que les turntablistes (autre nom des scratcheurs) font de la musique avec des platines-disques et des vinyles, tandis que les rappeurs déclament leurs textes en s’accompagnant de ghettos-blasters (des magnétophones à pile et transportables) ou de boucles (sample) confectionnées à partir d’extraits de musiques existantes. En définitive, les outils de lecture et d’enregistrement sont devenus des instruments et les supports enregistrés sont joués et manipulés. De son côté, la techno (également appelée house-music) a généralisé la pratique du sampling et fait de la console de mixage des studios et du lap-top (ordinateur portable) des instruments de performance et/ou de composition. La plupart des DJs enregistrent et mixent des sons venus de sources existantes, puis ces données sont manipulées et à leur tour, réinjectées dans des boucles et des effets divers. Une fois codés (ou copiés), les mixes circulent sur des supports légers, y compris des fichiers informatiques, et arrivent dans les disques durs d’autres DJs, etc…
Cependant, si la miniaturisation des instruments de reproduction et le codage des sons ont favorisé ces processus, on ne doit pas oublier le rôle déterminant des acteurs. Rien de disposait, en effet, les disques vinyles (condamnés par l’industrie à disparaître), les consoles de mixage des studios professionnels ou les DJs des radios à devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. Pour que le scratch naisse, il ne suffit pas d’avoir une (excellente) platine de marque Technics et une mixette bon marché, il faut également qu’à la suite d’une altercation avec ses parents, qu’un adolescent se mette à “jouer du saphir“ pour les ennuyer et se dise qu’il y a là peut-être quelque chose à creuser . Ensuite, pour que cette technique se diffuse, il faut également que des réseaux de personnes s’en emparent et la popularisent. Si ces deux courants sont devenus si influents, c’est qu’ils ont su transférer des techniques d’appartements en performance scénique. En somme, le privé est devenu du public. Tirant parti des nouvelles technologies de diffusion et de communication , le hip-hop et la techno ont (ré)inventé de nouvelles façons de se retrouver ensemble, qui plus est, dans des lieux normalement non dévolus à des performances : la rue, les cours d’immeubles, les friches, les forêts. À chaque fois, ces mutations ont résulté d’alliances entre des acteurs et des techniques. C’est très précisément la constitution de ces réseaux hybrides, et leur condition d’inscription dans les territoires franciliens qui constituent l’objet de cette recherche.

POSITIONNEMENT PAR RAPPORT AUX THÈMES DE L’APPEL D’OFFRES

6 Les équipements publics, les politiques culturelles et les pratiques
Comme on vient de le voir, l’utilisation des supports touche à un grand nombre d’activités musicales (l’écoute, l’apprentissage, la transmission, la fabrication de la musique), concerne aussi bien les sphères domestiques que communes et implique une pléiade de styles et d’usagers. Dès lors, on peut se demander pourquoi cette translation privé-public, qui nous est pourtant si familière, n’est pas l’objet d’une attention plus soutenue de la part des institutions publiques ? Même si cet aspect est certainement à prendre en compte, le manque de légitimité des musiques populaires n’explique pas tout. D’autant que depuis une quinzaine d‘années, leur prise en compte dans les politiques publiques est de plus en plus tangible. Au moment où nous écrivons ces lignes, une concertation nationale sur les musiques actuelles est en cours, un forum national se réunira en octobre 2005 à Nancy et, outre qu’il existe déjà une soixantaine de “scènes de musiques actuelles“ (Smac), de nombreuses collectivités territoriales financent des complexes comprenant des salles de concerts, des locaux de répétitions et des dispositifs “d’accompagnement“ à destination des groupes. On mentionnera également l’ouverture de nombreuses classes de “musiques amplifiées“ dans les écoles de musiques, et même d’une classe de jazz au Conservatoire National de Musique de Paris, et comme on le sait, les symboles comptent… Cependant, sans contester l’utilité (et le succès) de ces dispositifs, il faut bien constater qu’ils sont essentiellement orientés vers la production de spectacles et la professionnalisation des équipes. À notre sens, si les pratiques liées à la phonographie sont si peu repérées, cela tient probablement à la difficulté de se les représenter en dehors de ce cadre. Dans une définition des pratiques culturelles où le dispositif théâtral, la professionnalisation et l’enseignement formalisé de la musique constituent les principales réponses, les activités et les lieux que nous avons listés ne sont pas perçus comme porteurs d’authenticité. On ne voit littéralement pas l’amateur travailler devant son écran à la maison et l’on doute que l’écoute des disques, qui plus est dans l’espace domestique, puisse contribuer à une culture commune. En somme, la politique publique a du mal à se représenter les médiations entre l’appartement et la scène : médiations techniques (les fameux supports) et médiateurs humains (les amateurs).

7 Les musiques populaires dans les villes : circulations et mobilités
L’usage des supports et des machines, la mobilité des acteurs, des données et des objets gagneraient à être mieux étudiés. On manque de données sur la manière dont les compétences se construisent, sur la façon dont les acteurs se procurent la matière musicale et les outils de manipulation, sur la provenance des répertoires et sur le rôle que jouent (ou pas) les équipements locaux. De ce fait, il nous semble que cette problématique s’inscrit parfaitement dans l’appel d’offres “Culture et territoires en Ile de France“ qui vise à mettre à jour des pratiques culturelles peu repérées et la dimension territoriale du processus de métropolisation. Ainsi, l’un des objectifs de cette recherche est d’analyser l’articulation entre des pratiques culturelles localisées, comme celles que l’on peut trouver dans des espaces résidentiels, et des réseaux globalisés, par exemple le flux de communication immatériels du Web.
Essayons de décrire les flux des personnes et des données et les différents espaces (technologiques, territoriaux, esthétiques, stylistiques) dont nous parlons Comme on va le voir, des différents niveaux s’imbriquent et continuellement.

a) Au départ, une importation
Qu’il s’agisse d’un disque de musique enregistrée (ou de sa copie), de samples ou de fichiers informatiques, les apprenti-e-s musicien-n-e-s s’initient avec de la musique provenant, pour l’essentiel, de répertoires existants : le disque des Beatles pour les rockers, le vinyle d’intelligent techno , la rythmique de James Brown dont on va extraire un break beat . Quelle que soit la taille du marché ou des circuits d’où proviennent ces sources, elles émanent de structures à vocation internationale. On a donc là une importation de répertoires constitués (globalisés) vers des personnes et des territoires donnés (localisés).

b) Où se procure t-on les supports et les machines ?
Les musicien-n-e-s se procurent les supports et les machines par le biais de différents “fournisseurs“ : les magasins ou équipements publics (disquaire ou soldeur, hypermarché, magasins d’instruments de musique ou d’informatique, médiathèque), la voie postale (vente par correspondance, échanges) ou numérique (commerce électronique, peer to peer, téléchargement de fichiers sur des sites, radios on line). Naturellement, la localisation de ces points est très variable. Ainsi, un magasin de musique peut se situer dans un quartier proche, dans une commune voisine, ou même à l’autre bout de la région, etc. D’autre part, on comprend qu’une même personne ou formation musicale peut emprunter simultanément plusieurs types de circuits.

c) L’importance des auxiliaires et des passeurs.
Pour apprendre à manier une guitare, un ordinateur ou un échantillonneur, il faut certes s’adonner des jours entiers à une pratique intensive. Mais, si les supports enregistrés sont bien les principaux instructeurs, l’apport d’auxiliaires complémentaires est également bienvenu. Pour ce faire, l’apprenti-e fait appel à différentes ressources : pairs, parents, méthodes, notices techniques, presse spécialisée, vidéos éducatives, forums internet spécialisés, compétitions locales ou régionales (dijaying et groupes rock), évènements publics (concerts, raves), cours privés ou collectifs, groupe de rock ou tout autre type de perfectionnement. Une fois encore, la provenance de ces personnes et/ou objets-ressources est fort diversifiée et demande à être identifiée.

d) Que produisent les usagers et qu’en font-ils ? L’exportation
Un peu plus haut, nous avons déjà signalé que la quasi totalité des musicien-n-e-s composent et enregistrent eux-mêmes leurs propres répertoires. La question se pose donc de savoir, pour les apprenti-e-s comme pour les aguerri-e-s, vers quelles destinations ces enregistrements sont exportés. Il s’agirait d’observer comment les productions locales sont lancées dans l’espace public et notamment par quelles filières elles circulent (ou échouent). De ce point de vue, il est clair que les nouvelles technologies (et tout particulièrement l’internet) ont considérablement changé la donne qui prévalait lorsque que le rock constituait la principale “musique de jeunes“.Pour expliciter ce point, il est nécessaire de revenir quelque peu en arrière.
Tant que le rock “domina“, la carrière d’un-e musicien-n-e rock s’effectuait (principalement) dans le cadre d’un groupe . Celui-ci devait d’abord “se faire un nom“ localement pour pouvoir éventuellement “décrocher des dates“ au niveau régional et national. C’est à ce moment que la question de “l’entrée en studio“ se posait, du moins si une firme proposait au groupe d’enregistrer un disque (“être signé“). Même si les magnétophones servaient déjà de répétiteurs aux musiciens populaires, l’art du studio (la production discographique comme on disait dans les années 70) était quasi exclusivement professionnel et encadré par des spécialistes (directeurs artistiques et ingénieurs du son). Il en était de même pour la distribution dans les boutiques et la diffusion à la radio ou dans les juke-boxes. De fait, l’enregistrement d’un disque signifiait l’entrée sur le marché national, voir au-delà. Cependant, comme nous l’avons rappelé, la miniaturisation et la baisse des prix des matériels d’enregistrement, au début des années 80, ont profondément remis en cause ce schéma . En l’espace de quelques années, le “travail de studio“ s’est étendu à toute la sphère domestique et aux amateurs. L’apprentissage populaire n’a plus consisté en la seule reproduction des disques mais dans la réalisation de ses propres enregistrements. Début 90, avec l’essor du hip-hop, le son enregistré est devenu la matière première de la musique et les outils de reproduction des instruments. Parallèlement aux phénomènes des raves et du clubbing, la techno a vu la naissance d’une pépinière d’activités dédiées au travail du son et au Dijaying : micro labels de disques, fabricants sur mesure d’acétates pour les DJ, vente et distribution de vinyles et de fichiers sons, programmation de logiciels musicaux (dont certains en open source), patterns pour les boîtes à rythme. etc…. Ce qui retient l’attention dans ces structures, c’est leur double nature. En effet, il n’est pas rare qu’elles aient été créées sur la base d’affinités locales (par exemple des personnes fréquentant les mêmes établissements scolaires ou le même immeuble) mais qu’en même temps, elles s’adressent à des segments d’amateurs disséminés aux quatre coins du monde, réunis par une passion commune pour un style ou des machines obsolètes du point de vue du marché (le renouveau du synthétiseur moog date ainsi des années techno) etc…On le voit avec ces différents exemples : plus l’enregistrement se démocratise, plus le triple mouvement d’importation-digestion-exportation de la musique se développe . Il serait intéressant de comprendre sur quelles bases se structurent les différents réseaux, leurs points communs et leurs dissimilitudes, leurs ciments et leurs fragilités. Il faudrait aussi cerner les difficultés qu’ont les musicien-n-e-s à faire valoir aux autres ce qu’ils (elles) produisent. En outre, le repérage et la description de ces “navettes“ entre différents types de territoires et d’espaces, pourraient concourir à mieux comprendre la dimension culturelle de ces phénomènes et éclairer l’action publique régionale et locale.

8 La globalisation et l’usage “local“ des supports : une relation à explorer
L’arrivée dans la sphère domestique des techniques de reproduction (et de communication) numérique a donc intensifié le mouvement de globalisation de la musique, mouvement amorcé dès l’invention du phonographe . Mais alors que l’on considère souvent ce mouvement sous l’angle de l’uniformisation des répertoires et de la consommation passive, force est de constater que ces processus sont beaucoup moins univoques. En effet, si l’on considère les répertoires disponibles, l’horizon s’est plutôt élargi que rétréci. La mosaïque des étiquettes et des styles rend compte de cette diversité des attachements et des pratiques. Alors que nombre d’analystes pensent les révolutions techniques (ici l’essor du numérique) comme des processus de reconfigurations radicales des formes de la connaissance, il semble plus juste de penser que les acteurs se meuvent simultanément dans plusieurs types espaces : espaces territoriaux, espaces juridiques (cf. les droits d’auteur et la gratuité des raves), espaces de connaissance et d’apprentissage, espaces publics, espace de la représentation de la musique. Plutôt que de s’exclure, ces diverses dimensions s’enchevêtrent et sont l’objet d’arrangements sociaux inédits où les outils et les collectifs se redéfinissent. Pour les musicien-n-e-s (et les auditeurs) de musiques populaires, cette diversité des espaces concerne aussi bien la localisation des passeurs, leur nature, les répertoires, les objets techniques, les informations. D’autant que les usagers ne se contentent pas de recevoir les musiques qu’ils aiment. Ils les renvoient, sous des formes diffractées et retravaillées, dans l’espace public. Ce qu’expriment les raves techno ou la culture hip-hop (danse, graphes, rap, scratch), c’est cette capacité à métamorphoser des objets et des pratiques domestiques en techniques collectives. Collectif d’amateurs écoutant et pratiquant la même musique et reliés par de multiples réseaux extra-territoriaux mais aussi réunions de milliers de personnes dans des espaces inattendus normalement non dévolus à des “spectacles“. Le mot de détournement prend ici tout son sens : il s’applique non seulement aux supports et aux machines mais aussi aux territoires dont les acteurs s’emparent.
En somme, si nous repartons du point de départ de ce texte, nous constatons une sorte d’effet de feedback. Le disque “globalisé“ qui arrive sur la platine de l’amateur devient un objet local d’expertise puis, transformé, retrouve un chemin vers l’espace public.
C’est cette mobilité que nous proposons, à partir de l’observation de cas concrets et sur un mode comparatiste, de restituer. Mobilités spatiales bien sur mais aussi mobilités sociales, nouvelles définitions de “l’artiste“, nouvelles compétences, nouveaux réseaux, nouveaux partages technologiques (dont les logicels libres sont une des facettes), mobilités des marchés. Notre projet de recherche, élaboré en concertation avec le Service Culture du département de Seine-Saint-Denis, s’inscrit aisément dans deux des axes de l’appel d’offres
“Culture et territoires en Ile de France“ : “culture et société locales dans un contexte métropolitain“ et “pratiques culturelles dans un univers de concurrence entre pratiques“.

1er Axe : culture et sociétés locales dans un contexte métropolitain
Notre premier objectif sera de décrire les différents “espaces-types“
(pour paraphraser Max Weber) dans lesquels se meuvent les acteurs : espaces cognitifs, domestiques, technologiques, spatiaux, urbains. Il s’agira non seulement de déterminer les différentes échelles territoriales dans lesquelles se placent ces échanges (local, intercommunal, départemental, régional, national, international) et leurs imbrications mais aussi les chemins utilisés et la nature des contenus qui circulent. On accordera une attention particulière aux possibilités qu’ont (ou n’ont pas) les acteurs de transformer des objets “globalisés“ en expertise locale. Pour le dire autrement, il s’agira d’observer si, grâce à une série de médiations (personnes, machines, manuels techniques, sites), des appropriations d’une discipline collective sont à même de constituer une culture francilienne, départementale, de ville, de quartier. Si c’est le cas, l’objectif sera de repérer les partages entre les formes de savoir transmises localement et celles qui proviennent de “cultures globales“. Enfin, on analysera les stratégies d’importation et d’exportation des supports par les acteurs locaux et l’on examinera le rôle des équipements culturels de proximité (ou des communes voisines) dans ces processus . Des observations similaires seront conduites en direction des fournisseurs locaux de supports (publics ou privés)

2e axe Les pratiques culturelles dans un univers de concurrence entre pratiques.
À partir du cadrage historique que nous avons présenté, nous avons indiqué l’importance des détournements. En effet, même si les acteurs recourent bien à des objets de consommation courante (par exemple une platine-disque ou un ordinateur) leurs usages ne correspondent pas nécessairement aux recommandations inscrites sur la notice. Toutefois, ces pratiques ne sont pas toutes identiques, et l’extrême variété des étiquetages stylistiques renvoie justement à la diversité des déclinaisons, des situations et des types d’objets détournés. C’est pourquoi, nous nous proposons d’interroger les dissemblances entre les groupes et les personnes étudiés, sous l’angle des technologies, du genre, et du territoire.
a) Nous comparerons les usages respectifs des supports des formations musicales et les types d’espaces dans lesquels elles inscrivent leurs stratégies de “conquête“ du public (concerts, disques, sites internet, autres). On s’intéressera à la nature des attachements technologiques et aux motivations de ces choix, notamment sous l’angle de l’opposition à d’autres manières de faire et d’aimer de la musique.
b) On examinera si, dans leur usage des supports, les femmes sont amenées à privilégier certains objets, voire certains styles musicaux, et si ces “choix“ sont le résultat d’une distribution, en termes de genre, de l’accès à la technologie . On s’intéressera également à la façon dont, dans des formations mixtes, la compétence technique se répartit entre les sexes. Pour cette partie de l’enquête, les entretiens sur l’apprentissage, recueillis au préalable, constitueront de précieuses ressources.
c) La recherche tentera de mettre à jour une caractérisation territoriale de l’utilisation des supports. On essaiera d’établir si dans leurs usages des supports, des formations de style comparable, situées à différents endroits de la région, développent des spécificités locales ou départementales. Si oui, de quels ordres ? Si des formations d’un même département, quel que soit leur style, ont des caractères franciliens et si les acteurs le pensent. Pour donner à cette problématique du relief, les enquêtes en Seine-Saint-Denis et en Yvelines (l’autre terrain d’investigation en Ile de France) seront mises en regard d’une recherche similaire menée à Nantes.

MÉTHODOLOGIE ET DÉROULEMENT

9 Constitution de l’échantillon
Cette recherche concerne des amateurs fortement investis et pour lesquels l’activité professionnelle est marginale. Néanmoins, ce parti pris n’interdit pas de s’intéresser à des personnes ou à des collectifs désireux de se professionnaliser. Il pourra s’agir d’individus (DJ, vocalistes solo, scratcheurs-euses, rappeurs-euses), de collectifs aux compétences variées (par ex. un collectif de hip-hop comprenant un sonorisateur, des danseurs et un DJ), de duos de musique électronique, de groupes rock ou toute configuration comparable. On s’attachera à inclure dans l’étude deux structures embryonnaires ayant trait à la diffusion ou à la fabrication de supports (jeune label de disque, pressage d’acétates, programmation de logiciels, site, etc.). En matière stylistique, les trois grandes familles électriques, rock, hip hop, techno, seront représentées. On veillera à une parité globale entre hommes et femmes. Au total, l’étude portera sur douze formations et/ou individus répartis dans les deux territoires d’Ile de France étudiés.

10 Le choix des terrains en Ile de France : Seine-Saint-Denis et Yvelines.
Comme nous l’avons dit dans le résumé, pour cette enquête, un partenariat a déjà été conclu avec le Service Culture du département de Seine-Saint-Denis. En outre, l’association Chroma-Le Grand Zebrock, centre de ressources pour les “musiques actuelles“ en Seine-Saint-Denis, nous assistera dans la recherche de musicien-n-e-s ou de formations . Ce sera donc notre premier terrain. L’enquête se déroulera également dans les Yvelines. Là aussi, une association référente, le CRY (Centre de Ressources Yvelinois pour la musique) servira de passerelle entre notre équipe et les amateurs . Bien évidemment, le choix des formations étudiées dépendra également de leur situation sur le plan géographique, des dynamiques socio-urbaines et des configurations politico-administratives. De ce point de vue, le choix d’enquêter en Seine-Saint-Denis et dans les Yvelines assure une variété des configurations urbaines. On y retrouve aussi bien les quartiers de grands ensembles HLM et les espaces historiques de l’habitat ouvrier (Seine-Saint-Denis) que les petits centres urbains et historiques, les zones d’habitation pavillonnaire peri-urbaines et les villes nouvelles (Yvelines). Enfin, à cette pluralité des situations s’ajoutera la variété des lieux visités : locaux de répétition, salles de concerts, lieux d’apprentissage, studios semi professionnels ou home-studios domestiques, micro-labels indépendants, plates-formes de sites Web.

11 Un troisième terrain hors Ile de France : Nantes
Selon des modalités identiques à l’Ile de France, une deuxième enquête sera conduite à Nantes, en collaboration avec l’association nantaise Trempolino , “pôle de musiques actuelles“ pour le département de Loire-Atlantique. En effet, pour mesurer le processus de métropolisation en Ile de France, il paraît intéressant de l’apprécier au regard d’une autre métropole dont les caractéristiques sont sensiblement différentes. Car, si l’agglomération nantaise et la région Pays de Loire se posent comme des acteurs régionaux dans le concert européen, il n’en reste pas moins que les échelles de grandeur sont sensiblement différentes de celles de l’Ile de France. Ainsi, dans le contexte nantais, il est probable qu’un certain nombre de facteurs locaux (groupes, animateurs de radio, DJ, salles de concerts) influent plus fortement sur les vocations et les trajectoires des formations et des personnes. Pour employer une expression commune, il s’agit donc de comprendre si l’existence d’une “scène locale“ modifie sensiblement les conditions d’accession aux supports enregistrés et la mise en circulation des productions locales. Par contraste, on peut supposer qu’en Ile de France, et notamment là où la densité urbaine est la plus forte, les modèles “globaux“ et les supports existants jouent un rôle plus déterminant et que les “niveaux intermédiaires“ sont plus rares.

12 Déploiement de l’enquête de terrain
Les données de l’enquête seront collectées de la façon suivante :
-Entretiens semi directifs approfondis menés avec les individus, ayant traits à leur parcours biographique et aux modalités de leur apprentissage. Les questions porteront notamment sur l’usage concret des supports, les raisons de l’adoption de tel ou tel outil, la relation aux répertoires, l’utilisation de ressources en ligne (peer to peer, sites, forums, échanges). Une attention particulière sera accordée aux “couacs“, aux ruptures et aux changements dans les trajectoires d’initiation. On s’intéressera aussi aux différents “déclencheurs“ de la passion musicale (médias, disques, école, groupes, presse, ami-e-s ou membres de la famille), à la fréquentation des équipements publics et associatifs (salles de concerts, médiathèques, accès municipaux ou associatifs au Web, clubs d’informatique, lieux de répétitions etc.) et des commerces (instruments de musiques, vente de disques, magasins d’informatique, logiciels, jeux vidéos). L’attention sera principalement portée sur la provenance des savoirs et des tutorats.
-Observations “en situation“ des usages des supports par les DJs ou les groupes. On demandera aux acteurs une démonstration de leurs instruments et machines. On observera avec attention les éventuels détournements des fonctionnalités “normales“, l’usage des interfaces graphiques, les modalités ergonomiques de la pratique instrumentale et plus généralement ce que l’instrument ou la machine requièrent comme travail du corps. Pour restituer à l’analyse future sa richesse ethnographique, cette séquence sera captée avec des moyens vidéo légers. La séance de démonstration sera suivie d’un entretien avec l’ensemble de la formation ayant trait aux choix des objets, à leurs marques, à leur compatibilité avec d’autres outils ou systèmes et à leur provenance. On déterminera le recours éventuel à un mode d’emploi papier ou numérique et sa fréquence. Seront également évoqués les échanges entre les membres du groupe et la nature des données échangées (fichiers musicaux ou informatiques, banques de sons, plug-in, répertoires samplés, etc…). On essaiera d’identifier l’origine d’un certain nombre de matériaux sonores, utilisés par la formation, et les transformations opérées. Enfin, l’entretien portera sur les stratégies d’exportation des enregistrements de la formation, sur les types de supports et les circuits qu’elle mobilise à cet effet.

13 Restitutions, analyses et temps d’enquête
a) Une fois les investigations menées et les matériaux collectés, les documents de synthèse seront analysés collectivement par l’équipe de recherche. Divers types de synthèses seront produites.
-Des transcriptions intégrales des entretiens individuels.
-Des carnets ethnographiques décrivant les “démonstrations“.
-Les entretiens donneront lieu à l’établissement de “cartographies des attachements et de la circulation des supports“. On établira la provenance des machines et des supports utilisés, la liste des “passeurs“ de savoirs (humains et non humains) leur localisation et le type d’espace dans lequel ils s’inscrivent et les destinations (souhaitées ou effectives) des contenus exportés par les acteurs. Toutes ces données seront complétées par un inventaire des équipements culturels et/ou des lieux publics (au sens général du terme) mentionnés (par l’amateur ou les collectifs) comme des lieux ressources.
À la façon d’une arborescence, les trajets et “couloirs de circulation“ (territoriaux, technologiques, virtuels, amicaux) seront représentés par des schémas. On obtiendra ainsi une représentation graphique de l’importation et de l’exportation des données et/ou des sons. L’analyse comparée des cartographies et des pointages permettra éventuellement de repérer des paramètres communs ou des dissemblances.
-À ces synthèses s’ajouteront les séquences vidéo.

b) La réalisation de l’enquête s’étalera sur huit mois et débouchera deux mois plus tard sur la synthèse intermédiaire. Quatre mois supplémentaires seront nécessaires pour passer de ces résultats au rapport final de recherche. La durée totale de la recherche sera donc de 14 mois.

Francois Ribac

jeudi, octobre 12, 2006

Conférence sur la perception de la musique à Metz



Jeudi 26 octobre, je participe à une journée d'étude au Caveau des Trinitaires à Metz. J'y parlerai de la perception de la musique et de la place du corps dans les musiques populaires. J'y vais avec mon ipod (et des dvd-s-) car la journée se termine justement par une battle de lecteurs mp3
Cela commence à 14 heures et c'est ouvert au public :

L'ACNT en collaboration avec le forum IRTS et le Studiolo présente

Conférence sur l’écoute musicale à l’ère du MP3 et de l’iPod" ___________________________________________

Plonger dans la musique et tricoter le temps

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Cette journée d’études sur l’écoute musicale à l’ère du MP3 et de l’iPod donnera lieu à des communications-débats, des écoutes d’extraits musicaux et des projections de vidéos et de films.

1 “Ce que le philosophe peut dire de l’écoute musicale” par Philippe Choulet, Strasbourg, enseigne la philosophie en classes préparatoires, co-auteur avec André Hirt de L’idiot Musical, Glenn Gould, contrepoint et existence, éditions Kimé, 2006

2 “À bras le corps : écouter et aimer la musique populaire” par François Ribac, La Rochelle, compose opéras et musiques de film, auteur de L’avaleur de rock, éditions La Dispute, 2004

3 “Le temps de l’écoute et le temps de la composition” par Marco Marini, Nancy, compose et enseigne la composition de musique électroacoustique, auteur de Le temps en musique électroacoustique, de l’épaisseur à la profondeur, édition ENM Pantin, 2006.

La journée se terminera par une Battle d’iPod

Le principe d’une Battle d’iPod, appelée également « fightPod », est de faire découvrir ses morceaux favoris par le biais d’un duel musical avec des iPod. Chaque participant a, dans sa poche, de 1000 à 10 000 morceaux, selon la capacité de mémoire de l'iPod. On se branche sur la table de mixage de la salle, deux par deux, et le combat commence. Quelques morceaux chacun et l'applaudimètre désigne le vainqueur.

Les battles d’iPod sont révélatrices de nouvelles pratiques d'écoute apparues avec l'essor des nouvelles technologies. Début 2000, organiser une telle soirée relevait de l'impossible. Il aurait fallu plusieurs milliers de CD pour obtenir un aussi grand choix que ce la compression numérique permet aujourd'hui. Grâce à la technologie moderne, il n'est plus rare de voir quelqu'un s'improviser DJ dans une soirée, armé de son baladeur à la mémoire quasi infinie. Un privilège réservé jusqu'ici aux passionnés assez motivés pour porter un sac de CD ou de vinyles. Désormais, tout est léger et la battle iPod donne à chaque participant le plaisir de partager ses choix.

Jeudi 26 Octobre 2006 à 14:00 au Caveau des Trinitaires 10/12 rue des trinitaires 57000 Metz Tel : 0387750496
http://www.lestrinitaires.com/Les-Trinitaires/Les-salles-Caveau-1.htm

François Ribac