dimanche, janvier 15, 2017

Nouvelle recherche de terrain : Arts de la scène et musique à l'âge de l'anthropocène


                                         Image : Nix et Gerber

 Depuis septembre 2016, je dirige un nouveau projet de recherche intitulé Engager la sphère culturelle dans la transition socio-écologique/Arts de la scène et musique à l'âge de l'anthropocène.
Ce projet est soutenu par le Réseau de Recherche et d'Innovation sur la Transition Socio-Écologique de la MSH de Dijon, l'ADEME et le  plan d’actions régional pour l’innovation (PARI) de la région Bourgogne-Franche-Comté.

L'étude implique une équipe de recherche de trois pays (France, Grande Bretagne, Allemagne) que l'on peut retrouver ICI.

Avant de présenter prochainement les premiers résultats de nos recherches et nos initiatives, voici ci-dessous la présentation et le déroulé de l'étude :

 Engager la sphère culturelle dans la transition socio-écologique/Arts de la scène et musique à l'âge de l'anthropocène

I Problématique

1 Anthropocène
Pour nombre de géologues, de climatologues, de philosophes, d'historien-nes, de sociologues, d'écologistes, d'ONG(s), notre planète est désormais entrée dans l'ère de l'anthropocène. Quelles que soient les discussions pour situer les débuts de cette séquence, l'idée commune est que les activités humaines ont désormais un impact déterminant sur l'écosystème terrestre. Le recours massif aux énergies fossiles provoque le réchauffement de la planète et ses conséquences, la disparition rapide et croissante d'un nombre considérable d'espèces végétales et animales, la fonte des glaciers et de la banquise, l'élévation du niveau de la mer, des épisodes climatiques extrêmes, la pollution. Ces phénomènes ne perturbent pas seulement l'écosystème mais aussi les activités humaines provoquant des migrations forcées, la paupérisation de territoires et à terme des bouleversements majeurs. Au moment où l'humanité devient une puissance géologique, la question de la survie de l'espèce humaine se pose en retour. Situation résumée en ces termes par Clive Hamilton :

“Nous découvrons aujourd'hui que la croyance grisante en notre capacité à tout conquérir se heurte à une force plus grande, celle de la terre elle même” 1

Pour décrire ce renversement de perspective, la philosophe Isabelle Stengers parle de la revanche de Gaïa2 un concept originellement forgé par James Lovelock3. Dans la mythologie grecque, la matrice Gaïa a engendré la terre et ses monstres tels les titans et les cyclopes. Outragée et humiliée par Uranus, son frère et le père de ses enfants, elle ordonne alors à Chronos, l'un de ses fils, de la venger. Celui-ci émascule Uranus. Le récit mythologique suggère que si l'on violente par trop l'écosystème Terre, celui-ci réagit alors de façon convulsive. Pour Lovelock, chaque composante de Gaïa (la stratosphère qui filtre les rayons du soleil, les nuages, le cycle du carbone, le cycle de l'eau, les océans, le plancton etc.) interagit avec les autres de façon à maintenir à flot l'écosystème et corriger ses éventuels dysfonctionnements. Perturber cet équilibre amène à de violent spasmes. De fait, l'ère de l'anthropocène implique qu'il nous faut établir un nouveau pacte avec la Terre, (r)établir un nouvel équilibre entre nous mêmes et Gaïa.

2 Une certaine façon de concevoir et gérer le monde ; la modernité
Pour effectuer cette mue, il nous faut probablement mettre en question, ou tout au moins reconsidérer, la modernité. Celle-ci prend notamment sa source dans l'Europe occidentale du 17e siècle au moment où la Révolution Scientifique -que l'on appelle aussi les Lumières- s'impose4.
Pour en prendre la mesure, considérons par exemple la Nouvelle Atlantide de l'anglais Francis Bacon (1561-16265) l'un des récits fondateurs de ce régime de savoir(s) et de gestion du monde : égaré dans l'océan, un groupe de navigateurs aborde un île où règne l'harmonie, la paix et la prospérité. Là, les savants ont vaincu les maladies, font fructifier dans de vastes serres toutes sortes de plantes et de cultures et disposent de machines puissantes afin d'assurer la plupart des tâches. Grâce à leur sagesse, leurs machines et leurs technologies, les savants permettent à l'humanité de vaincre les fléaux naturels et sociaux qui ravagent d'ordinaire la société. Pour ce faire, ils contrôlent et disposent de la nature. On est ici au cœur de la cosmogonie moderne et du projet scientifique qui lui est associé ; capable de décrire et de modéliser (les lois de) la nature et de la dominer, l'humanité peut bénéficier du progrès, condition sine qua non pour que prospèrent le bonheur et la paix. On connait la suite, la mécanisation, les cités industrielles, la conquête du monde, la croissance économique continue conçue comme moteur essentiel du bien être humain, l'essor du capitalisme. Selon Bruno Latour6, le tour de force de cette vision du monde a été de nous donner à penser -et croire- que le progrès était tout à la fois une loi naturelle, inscrite dans la logique même de la matière et du temps, et un impératif social.

3 Changer de paradigme anthropologique ?
Dans leur livre L'évènement Anthropocène Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz7 contestent l'idée que l'on aurait découvert récemment les dommages engendrés par les activités humaines.
En réalité, les (p)artisans de la modernité savaient et même théorisaient, et depuis belle lurette, que la croissance continue des forces de production affectait la “nature”. En effet, si la nature a bien été présentée par les Lumières comme la source de toute connaissance, elle a aussi été pensée comme une entité radicalement séparée de l'espèce humaine que l'on pouvait et devait dominer8. Ce faisant, cette différenciation a permis d'utiliser sans limites ses ressources et même de coloniser les territoires et les peuples que l'on décrivait comme naturels. Dans cette perspective, civiliser le monde, l'arracher à la dépendance vis-à-vis de la nature, était non seulement un droit mais aussi un processus historique inéluctable. De fait, les dommages de la société industrielle sont depuis longtemps patents. Dès le 19e siècle, nombre de métropoles européennes comme Londres ou Paris étaient déjà noires du smog et de la suie que les machines à vapeur et les usines crachaient dans l'atmosphère, tandis que les populations, et en particulier le monde ouvrier, étaient décimées par les maladies liées à la pollution et au manque d'hygiène9. Nous découvrons moins aujourd'hui les conséquences de l'activité industrielle intensive et de l'utilisation intensive des énergies fossiles que le fait que leur dangerosité atteint une échelle qui menace notre maintien sur la terre.
Face à cette situation, les pressions de l'opinion internationale, des ONG et les travaux du GIEC ont amené l'ONU à réunir des conférences internationales chargées de réduire drastiquement l'usage des énergies fossiles et de limiter l'effet de serre. Toutefois, si la transition vers une nouvelle humanitude10 nécessite bien, et urgemment, de changer de types d'énergies, de réorienter la production industrielle et agricole, de limiter et recycler des déchets, de rééquilibrer les échanges nord-sud, tout cela ne saurait suffire. Ce processus de transformation nécessite également d'opérer une profonde transformation des modes de gouvernance et de décision, d'inventer de nouvelles formes d'investissement des usagers dans la décision publique, d'insérer les profanes dans les décisions touchant à la science et aux technologies11, de gérer autrement nos espaces communs ; les territoires où nous circulons physiquement comme le monde numérisé que les infrastructures d'Internet et les ondes supportent.
En résumé, si la “nature” s'assèche et se rebelle c'est tout autant le support matériel des sociétés industrielles qui se craquelle que la cosmogonie qui soutient ce régime de connaissance et d'actions. Il ne s'agit pas simplement de mieux contrôler les inventions des savants de l'Atlantide, d'en démocratiser la gouvernance ou même de protéger l'écosystème de l'île mais aussi de refonder les objectifs de la communauté humaine et en particulier notre relation avec les (ceux que nous considérons comme) non-humains : animaux, végétation, océans, cosmos, éléments, écosystème, machines, techniques12. Tous ces titans que Gaïa retourne aveuglément contre nous. S'atteler à un tel chantier consiste notamment à prêter attention à des sphères sociales qui, précisément, ont partie liée avec la cosmogonie moderne et par là concourent aux récits et aux pratiques qui lui donnent corps. C'est à ce prix que l'on pourra apaiser au mieux la colère de Gaïa

4 L'art

a) Art = modernité
Justement, l'un des registres essentiel qui accompagne et incarne l'essor de la modernité s'exprime dans l'art. Les activités que l'on désigne ainsi émergent à la Renaissance dans l'Europe Occidentale et se déclinent de bien des manières : la commedia dell'arte (le théâtre des professionnels) qui nait au milieu du 16e siècle en Italie, le fait de signer les manuscrits, les partitions, les tableaux, la rédaction d'histoires des arts et des artistes et corrélativement l'apparition de spécialistes qui se consacrent à ces tâches... Signe de l'émergence de cette nouvelle sphère, dès la fin du 18e siècle les métropoles européennes comprennent des quartiers dédiés aux spectacles, tels le boulevard du Crime à Paris (célébré dans les Enfants du Paradis de Carné et Prévert -1945-) ou un peu plus tard le West End londonien13. Là, la foule des spectateurs vient chaque soir découvrir les nouveautés, les actrices dont on parle, les toutes dernières attractions, les artifices techniques, les vocabulaires inédits, les fictions et les spectacles qui figurent la nouvelle société14. Mais c'est véritablement au 19e siècle, au moment même où l'ordre bourgeois et le capitalisme triomphent, que l'espace public et son corollaire, le marché, s'imposent en Europe : l'art devient alors une composante essentielle de la vie sociale. Les artistes, leurs disciplines et leurs œuvres prennent véritablement leur place dans des espaces, des dispositifs de diffusion, d'évaluation et des métiers spécifiques ; les salles de concerts, les théâtres, les musées (qui conservent la trace du passé irrémédiablement détruit par la flèche du temps), les galeries, les éditeurs (de texte ou de musique), les managers, les impressarii, la presse, les critiques, les historiens de l'art et de la musique15.

b) L'essor de marchés et de nouvelles technologies
L'ascension de certains artistes est notamment liée à des innovations, voire des prouesses, technologiques et aux réseaux de distribution et de consommation qui les accompagnent :
Le piano ? Autant un instrument qui donne corps à la musique de Beethoven et Chopin qu'une innovation technologique dont la puissance sonore et l'étendue du clavier permettent tout autant de remplir de grandes salles de concerts que de jouer à la maison les “réductions” des symphonies romantiques. Un piano qui soutient le développement d'éditions musicales et de fabricants d'instruments, promus par des virtuoses en tournée comme Liszt, de circuits et de salles de concerts, d'agents, d'ouvrages spécialisés, d'une presse musicale16.
Les romans de Balzac ? Des histoires distillées chaque semaine dans la presse (la TV du 19e siècle) sous forme de feuilletons que l'on étire le plus possible puis que l'on édite in fine pour maximaliser les profits. Là encore, tout cela implique des éditeurs de journaux et de livres, de la publicité, des imprimeries, la fabrique et la livraison de papier etc.
En définitive, la naissance de l'art coïncide avec le moment où, comme dans toutes les autres sphères de la société, on différencie les professionnels et les amateurs et où l'on sépare matériellement et symboliquement le travail intellectuel et le travail manuel. Dès le 19e siècle, l'exploitation, l'organisation du travail, la diffusion, la promotion et des spectacles posent les bases matérielles et organisationnelles de l'industrie culturelle17. La valeur de l'art est donc tout aussi bien liée aux qualités propres qu'on lui attribue (la qualité artistique) qu'à son prix sur le marché des biens culturels18. C'est bien à l'intérieur de ce processus que l'art est théorisé et représenté comme une sphère idéelle peuplé d'êtres d'exception (voire de génies) qui créent des œuvres à nulle autre pareille (originales), des artistes désintéressés et déconnectées de la marchandisation19. De ce point de vue, la doctrine de l'art pour l'art et les représentations qui l'accompagnent (par exemple la bohème parisienne) expriment bien plutôt une forme de résistance que “l'essence” de l'art.

c) L'injonction au progrès
À la façon des botanistes qui regardent les racines d'une plante pour mieux la comprendre et en déterminer l'espèce, les théoriciens de l'art n'ont cessé de souligner la radicalité des œuvres et des artistes qu'ils aiment. Dans ce mode de compréhension, un grand artiste (la plupart du temps un homme), remet en cause l'ordonnancement des choses et ouvre un nouveau monde. Comment ? En réinventant des formes et des langages, de nouvelles techniques, qui donnent à voir et/ou à écouter différemment la sensibilité humaine et l'univers. Ce faisant, les histoires de l'art accordent une place centrale aux individus (là encore surtout des hommes) et décrivent les différents mouvements comme autant de révolutions et de ruptures : Schönberg rompt avec la tonalité, Kandinski fait basculer la peinture dans l'abstraction, les Beatles font de la musique populaire un art, Artaud et Bob Wilson bouleversent le théâtre, Orson Welles impose les auteurs à Hollywood etc. Même ceux qui contestent les révolutions esthétiques (“les réactionnaires” disent les radicaux) acceptent la banalité de base de la modernité à savoir que les révolutions font nécessairement disparaître ce qui a précédé. Ils ne font donc qu'inverser le raisonnement.
Pour toutes les raisons qui viennent d'être évoquées, l'art constitue l'un des récits essentiels de la cosmogonie moderne, un des médiums par lequel la Nouvelle Atlantide est non seulement réécrite sous différentes formes mais aussi pratiquée et entretenue.

d) Aujourd'hui
En ce début de 21e siècle, l'évaluation par les usagers, les amateurs et les professionnels des productions artistiques est toujours fortement marquée par les critères et la sensibilité modernes.
Ainsi, dans nos façons d'acquérir, de goûter, d'apprécier une œuvre ce registre est omniprésent : « s'agit-il de quelque chose de nouveau, qu'est-ce que cela apporte au domaine où cela s'inscrit » ? S'il est vrai que la familiarité avec un vocabulaire conforte fréquemment le jugement esthétique, autrement dit qu'on aime souvent des choses qui ressemblent à ce que l'on aimait déjà, il est non moins exact que l'on porte également attention à des choses à cause de leur étrangeté. En d'autres mots, il n'est pas rare que nous adhérions à une proposition artistique précisément parce qu'elle semble différer de tout ce que nous connaissions.
Ces mêmes types de critères sont bien entendu mobilisés par les professionnels du spectacle et de la musique. Face à une proposition artistique, les programmateurs d'une salle de spectacle s'interrogent pareillement : « qu'est-ce que ce spectacle renouvelle ? Qu'est-ce qui est singulier là-dedans ? ». Même lorsque l'élément clé d'une production est lié à une tradition (par exemple un opéra du 19e siècle) un ou plusieurs autres éléments doivent renouveler l'interprétation (la mise en scène, le décor), transposer l'œuvre, réinventer sa traduction scénique etc. On sait que la critique théâtrale, littéraire, musicale professionnelle ou amateure- manie constamment cette rhétorique et juge en grande partie les productions en fonction de leur capacité à proposer du neuf.
Le registre de la découverte (qui lui aussi provient de la Révolution Scientifique20) est également très présent dans les milieux professionnels ; nombre de responsables de festivals considèrent que leur mission consiste à présenter des spectacles et des artistes provenant de régions éloignés du monde, ou encore des artistes trop injustement oubliés, ou bien encore à rendre accessible des niches spécifiques. Le terme d'émergence, également très présent dans les discours des programmateurs, des institutions publiques et des firmes, découle lui aussi de l'impératif de dégotter de jeunes artistes qui rebattront les cartes.

e) La prégnance des technologies
D'une façon voisine à l'intérêt pour l'émergence, l'essor rapide dans nombre de salles de spectacles des arts numériques, où les technologies du même nom ont la part belle, atteste là encore de ce souci de remodeler sans cesse les expériences et les vocabulaires. Ce registre est également sensible dans le monde muséal qui, du CD Rom du Louvre à la visite virtuelle en ligne des musées, a très tôt mobilisé les outils numériques pour présenter des expositions ou des lieux patrimoniaux et accompagner les visiteurs. À ces différents endroits, c'est la technologie (le “numérique”) et ses usages innovants qui soutiennent l'impératif de renouvellement21.
D'une façon générale, les arts de la scène et la musique sont truffés de technologies et d'objets techniques tant du côté des scènes et des professionnels (projecteurs, consoles sons, systèmes d'amplification, décors fabriqués avec des matières synthétiques, instruments etc.) que des consommateurs (disques, ordinateurs, disques durs)22. Or, comme dans d'autres sphères sociales, nombre de ces objets et technologies sont souvent polluants, non recyclables, à l'obsolescence programmée, contiennent des produits dangereux, fabriqués à l'autre bout du monde et dans des conditions sociales déplorables23. Comme les professionnels et les spectateurs, nombre de ces objets circulent dans des circuits longs dont le coût carbone est considérable, utilisent des produits importés qu'ils (elles) pourraient peut-être trouver près de chez eux, sans parler de la prégnance des marques24. Que l'on pense par exemple aux artistes en tournée, aux programmations sans cesse renouvelées et constituées d'artistes non locaux, aux spectateurs se rendant à des festivals loin de chez eux, aux outils de stockage informatiques etc. On le voit, en matière d'art et de culture, la modernité n'est donc pas qu'un concept ou une injonction esthétique, ou même une composante essentielle de notre sensibilité, c'est un fait social qui structure fortement l'offre et les attentes des consommateurs/trices.
Il ne s'agit pas ici de réprouver le fait de programmer un artiste venu de l'autre bout de la terre, d'écouter de la musique en streaming, de construire des décors, d'acquérir des équipements techniques performants mais simplement de noter que le monde artistique n'échappe pas aux questionnements qui se posent à nos sociétés à l'heure de l'anthropocène. Or, si l'on se place dans la perspective d'une transformation significative et volontariste de ces sociétés, s'il faut réfléchir à la façon dont les arts pourraient (devraient ?) aborder une transformation socio-écologique, le paradigme moderne doit probablement être interrogé. Pas nécessairement pour l'anéantir mais pour le reconsidérer à l'aune des urgences qui sont les nôtres. On reviendra plus loin et en détail sur la compatibilité25 (ou pas) entre les normes des mondes de l'art et les exigences d'un monde soutenable.

5 Les amateurs
On vient d'évoquer les sphères professionnelles de la production, de la diffusion et de la consommation de spectacles et de musique enregistrée. Ces mondes se caractérisent également par la place significative qu'y occupent les amateurs et notamment du côté des innovations. Pour n'en rester qu'à la musique, on doit se rappeler que des mouvements (musicaux) aussi divers que le rock, le hip hop, la musique électro ou le mouvement de redécouverte de la musique baroque dans les années 70-80 émanaient principalement du champ amateur26. Comme on le sait ces divers mouvements n'ont pas seulement engagé des interprétations, des artistes, des œuvres, des réseaux, des firmes mais ont également contribué à reconfigurer les sociabilités, l'espace commun et l'économie toute entière de la musique.

a) Rock
Ainsi, la génération des Beatles, née dans les années quarante, a appris à pratiquer un instrument et écrire des chansons en copiant des disques à la maison et en passant des heures à répéter dans le cadres de groupes de rock constitués d'amis. Ces passionnés se sont donc éduqués grâce aux disques de rock'n'roll américains, aux platines disques bon marché qu'ils utilisaient dans leur chambre et via un apprentissage interactionnel avec leurs pairs. On a là un bon exemple d'une forme d'acculturation qui utilise des produits et des objets de consommation culturels pour inventer de nouvelles formes (devenues courantes) de socialisation. Une acculturation qui -le détail est important- a détourné quelque peu le tourne-disque de son usage prescrit (écouter de la musique) pour en faire un instructeur. Une forme d'apprentissage qui initie également des centaines de milliers d'auditeurs à l'écoute analytique de la musique enregistrée et a soutenu une transformation notable de la façon de produire de la musique dans des studios27. En bref, une série d'innovations sociales.

b) Hip hop
Prenons un autre exemple. Une dizaine d'années après que la génération des Beatles ait fait irruption, le hip hop nait dans le South Bronx, un quartier déshérité de New York28. Si l'on s'intéresse à la branche musicale de ce mouvement, on peut remarquer que là encore ce sont des amateurs qui ont commencé à utiliser des platine-disques d'une façon inusitée. Certainement inspirés par les Disk Jokeys qui passaient des disques dans les soirées de danse et/ou à la radio et animaient avec verve leurs sets, certains adolescents commencèrent à fabriquer des rythmiques continues (break beats) en répétant en boucle des séquences (le plus souvent) instrumentales qu'ils avaient repérées sur des vinyles. À condition de travailler des heures avant de l'enchaîner sans latence, l'enchaînement devient parfait et la pulsation continue. Rapidement, on prit également l'habitude de scratcher les vinyles, c'est-à-dire de produire des sons grâce à leur manipulation avec les mains, tandis que des Maitres de Cérémonie (terme emprunté au spectacles de Vaudeville), c'est-à-dire les rappeurs, scandaient des textes sur ces rythmiques. Comme les adolescents britanniques de la fin des fifties, le rap a donc détourné des objets de consommation culturelle (la platine disque et le vinyle) et les a reconfiguré. Comme on le sait, les DJ occupent désormais une place aussi significative que les guitaristes électriques et les vocalistes (c'est dire !) dans la pratique musicale et l'imaginaire commun et le hip hop est devenu une composante essentielle de la culture populaire.
Là encore, des amateurs ont posé les bases -esthétiques, matérielles- d'un nouveau monde et de nouvelles sociabilités.
On pourrait encore donner bien des exemples qui attestent de cette place des amateurs, par l'exemple la façon dont certains musiciens classiques ont redécouvert au 20e siècle le répertoire baroque des 17 et 18e siècles. Grâce aux traités d'interprétation et aux illustrations trouvés dans des bibliothèques, ils/elles ont construit leurs instruments, organisé des stages et tout cela bénévolement29. On pourrait aussi parler d'un jeune plasticien, Bob Wilson30, qui grâce à sa fréquentation de jeunes autistes invente un nouveau théâtre ou encore des pionniers des “arts de la rue” qui réinventent l'espace commun et une autre façon de produire le théâtre, l'espace et l'intérêt public31.

c) Un rapport nuancé à l'injonction moderne
Au-delà de leurs dissemblances (bien réelles), les exemples Beatles et hip hop ont néanmoins plusieurs points communs.
En premier lieu, ils proviennent de la sphère amateur, ou au moins, comme c'est le cas du mouvement baroqueux des années 70, sont initiés à l'écart des sphères professionnelles. Les nouvelles compétences qu'ils forgent viennent précisément de leur écart. En outre, nombre de leurs innovations proviennent d'expérimentations conduites dans la sphère domestique et ne sont pas nécessairement pensées comme innovantes où moment où elles débutent.
Deuxièmement, les pratiques des générations Beatles et rap nous montrent comment des objets de consommation changent de destination32.
Si on se rappelle qu'au moment où le rap a émergé comme phénomène social d'ampleur, le milieu des années 80, la fin du vinyle et le passage au CD étaient déjà planifiés et encouragés par les pouvoirs publics et l'industrie musicale (et avec quelles conséquences funestes pour cette dernière !), on comprend que ce mouvement a d'une certaine façon esquivé l'injonction moderniste du passage obligé au numérique, synonyme de progrès et de qualité sonore. Au contraire, le rap a fait des répertoires antérieurs (et tout particulièrement la soul) et d'un outil condamné à la disparition, les matières premières de sa créativité. De ce point de vue, on peut donc considérer le hip hop sous un angle a moderne plutôt que comme une nouvelle révolution.
Le troisième point est la dimension collective de ces innovations. Si les Beatles sont bien des individus (et sans aucun doute dotés d'un talent fou) leurs formes d'apprentissage et de sociabilité étaient partagées par des milliers d'autres adolescent-es britanniques et nul ne sait qui a commencé à copier des 45 tours de Chuck Berry dans sa chambre, à connecter le haut-parleur de la radio parentale à sa guitare électrique et à monter un groupe avec les copains du lycée33. Il y a même tout lieu de penser que ces façons de faire ont commencé dès la commercialisation du phonographe et le développement de la radio34. Une fois encore, là où on voit une révolution esthétique et des génies, la source des nouveaux savoirs et des innovations est au moins autant sociale, collective35.
Enfin, et ce point est connexe du précédent, tous les mouvements cités ici ont contribué à réinventer l'espace commun, non seulement parce qu'ils ont proposé de nouveaux espaces de performances et de rencontres mais aussi car ils ont produit un public, ils ont donné naissance à de nouvelles façons d'être ensemble, à de nouvelles communautés. Pour prendre la mesure de ces transformations, il suffit de rappeler les métamorphoses de l'espace urbain induites par la danse hip hop, les raves parties, ou encore les bien nommés arts de la rue.
On le voit, on est donc en présence de formes de mutualisation, d'apprentissage, de savoirs qui constituent autant de formes d'innovations sociales et d'intelligence collective36. Pour peu que l'on se départisse d'un regard moderniste, la naissance et l'essor de ces mondes (dont la plupart sont encore vivants) nous indiquent possiblement des façons de faire autre chose d'objets et de répertoires existants (recyclage et réinvention), de s'approprier des outils et des technologies produites par l'industrie, de s'initier et de faire circuler des savoirs et des compétences (dont nombre sont tacites), de reconfigurer le public et ses espaces communs et tout cela dans des cadres originellement peu, voire même pas du tout, marchands.
Peut-on repérer des pratiques actuelles où se manifesterait cette a modernité ? Certainement. On pense par exemple au goût pour le vintage37 et les outils analogiques d'amplification et d'enregistrement qui semble de plus en plus prégnant dans les pratiques musicales amateurs et professionnelles, dans les musiques populaires comme du côté des classiques et des jazzistes. On peut également évoquer les tribute bands, des formations (amateures et professionnelles) qui interprètent des répertoires de groupes de rock disparus (Beatles, Led Zeppelin, Pink Floyd ou Genesis) ou encore les groupes qui jouent des reprises puisées dans le répertoire existant des musiques populaires38. Autant de façons qui semblent -du côté de outils et/ou des répertoires- faire fi de l'injonction moderne de renouvellement constant.
Ces pratiques seraient d'autant plus intéressantes à investiguer qu'à l'heure du Web elles impliquent très certainement des formes de communication, de mutualisation d'informations, d'usages d'outils techniques singuliers, de recours à des logiciels libres, d'appropriations originales qui, le cas échéant, pourraient peut-être donner matière à modélisation, à transcriptions, à réflexions pour et dans d'autres sphères sociales. L'autre façon de résumer ce point consisterait finalement à dire qu'il s'agit à cet endroit de repérer des formes culturelles d'empowerment39. Empowerment non pas seulement lié à la prise de parole d'un groupe dans l'espace public mais se traduisant également par des formes d'appropriation et de mutualisation de techniques et de technologie, par le fait de forger de nouveaux vocabulaires, en bref de la culture !

II Description de l'étude et de ses terrains

Le projet de recherche se décline en trois axes principaux :

    • Tout d'abord, contribuer à un état des lieux des problèmes spécifiques aux arts de la scène et de la musique, recenser des pratiques innovantes déjà menées, par des professionnels et des amateurs- dans la perspective d'une transformation socio-écologique
    • Ensuite, examiner comment les mondes artistiques pourraient, d'une part, importer des thématiques et des pratiques soutenables expérimentées dans d'autres sphères et, d'autre part, élaborer des solutions innovantes et soutenables.
    • Enfin, documenter des savoirs et des formes d'organisation sociales issus de la sphère culturelle afin d'examiner si elles pourraient être exportées dans d'autres terrains (culturels ou pas)
L'enquête comprendrait tout à la fois
  • Des groupes de travail comprenant des professionnel-l-e-s et des chercheur-es se réunissant et produisant des diagnostics et des recommandations
  • La conduite d'études de cas
  • Un séminaire de recherche et de confrontations
  • Une conférence de consensus et un colloque international
  • La publication des résultats et des travaux
La durée totale de l'enquête et des actions concertées serait de 36 mois.

1 Recenser l'existant : des groupes de travail
Si les initiatives semblent foisonnantes, en particulier du côté des festivals musicaux, il n'existe pas à notre connaissance de bases de données régionales et/ou nationales recensant les “bonnes pratiques” dans les arts de la scène et la musique. Par “bonnes pratiques”, on entend ici des initiatives visant à limiter les rejets de gaz à effet de serre et le coût carbone (circuits courts, transports mutualisés, restauration biologique) et à recycler les déchets produits lors des spectacles (par exemple les restes de repas et les emballages lors des festivals) comme ceux produits lors de la conception des spectacles (des cordes de guitares usagées aux décors construits par des opéras) ou de festivals.
En outre, il semblerait également intéressant de dresser un inventaire des initiatives visant à mutualiser des compétences et des outils : fabricants et concepteurs échangeant des décors usagés, entreprises proposant des substituts aux produits chimiques utilisés pour la construction de scénographies, association de luthiers utilisant des bois non traités et importés légalement, réparateurs de matériel électronique (jugé) obsolète, ressources en ligne, ouvrages de référence, encouragements institutionnels etc. Certains collectifs sont d'ores et déjà à l'ouvrage et ils pourraient justement contribuer à nourrir ce répertoire.
Trois groupes de travail pourraient être constitués : deux groupes issus de territoires spécifiques et un groupe national. Ils fixeraient leur propre agenda et leurs priorités (recyclage, démocratie participative, mutualisations, transmission etc.) en concertation avec l'équipe de recherche. Ces groupes seraient constitués de professionnel-l-e-s, d'acteurs culturels institutionnels, d'artistes et d'organisations exerçant dans divers types de dispositifs (de la salle de rock subventionnée à l'opéra en passant par le festival d'arts de la rue). Le fait de fédérer des personnes travaillant à des postes variés (gestionnaires de tournées, responsables artistiques, techniciens, administratifs, artistes) et opérant sur des terrains différents permettrait tout à la fois de couvrir un large spectre et -on l'espère !- de faire surgir des convergences. Ces groupes seraient composés à parité de femmes et d'hommes.
Dans un premier temps, un recensement serait effectué par l'équipe de recherche sur la toile et par le biais de rencontres avec des structures fédérant des professionnels et/ou dédiées à la ressource, notamment du côté des initiatives liées à l'Agenda 21.
Dans un deuxième temps, les groupes de travail listeraient les problèmes auxquels ils et elles sont confronté-es et les solutions qu'ils et elles y apportent ou dont ils/elles ont connaissance. Des cahiers numériques de doléance seraient élaborés et mis en ligne.

2) Études de terrain
On a vu un peu plus haut avec des exemples historiques comment en s'échappant des schémas de lecture “modernistes” (au sens d'une suite continue de révolutions) on pouvait repérer des dynamiques intéressantes (et souvent négligées) dans la sphère culturelle. De fait, des pratiques actuelles mériteraient d'être étudiées en s'intéressant là aussi à leurs apprentissages, à leurs usages de l'existant (les objets, les techniques, les espaces, les relations sociales), aux formes d'innovation et de continuité que l'on peut y déceler, aux relations qu'y se tissent entre le local (entendu ici tant comme l'endroit où l'on vit que comme des pratiques individuelles) et le marché, à la façon dont ces mondes circulent, s'étendent et trouvent leur(s) public(s). Par ailleurs, il semble également pertinent de se pencher sur des phénomènes révolus afin de comprendre et d'interpréter différemment la création et le développement de mouvements culturels.
Pour cela, nous proposons de mener plusieurs études de cas touchant des
  • Phénomènes anciens voire révolus
  • Phénomènes contemporains (antérieurs et postérieurs au Web)
Ces études seraient également menées dans des territoires situés en France, sur la toile et dans deux villes (ou travaillent des équipes partenaires) Berlin (Allemagne) et Edinburgh (Grande-Bretagne). Le fait de procéder à des enquêtes à diverses époques, dans des territoires différents et dans deux autres pays permettrait d'appréhender ces phénomènes de façon panoramique et de pouvoir comparer des trajets, des formes de transferts, la nature des savoirs et leurs terreaux. Les enquêtes de terrain seraient notamment menées en collaboration avec différents membres du Collectif RPM (Réseau Pédagogie Musique), une association nationale qui regroupe une vingtaine de structures dédiées à l'apprentissage et à la pratique des musiques populaires en France40.

Sans préjuger définitivement du choix de ces terrains, quelques pistes peuvent être mentionnées :
  • Du côté du monde des spectacles, une étude sur la façon dont le premier cinéma a emprunté au théâtre son organisation sociale et ses conventions nous semble pertinente. Ceci afin de s'intéresser aux transferts qui s'effectuent entre un monde existant et un monde émergent et de repérer quels acteurs agissent et arbitrent ces passations.
  • Dans un même ordre d'idées, étudier la genèse de mouvements comme la danse hip hop et/ou les arts de la rue en France permettrait de repérer les modes de formation et la façon dont des savoirs ont été importés et reconfigurés localement. Ceci afin de mieux comprendre comment des mutations -tant techniques, stylistiques qu'anthropologiques- se produisent et aboutissent à la naissance d'un nouveau monde social41.
  • Une étude pourrait être consacrée à la façon dont des répertoires liés à une région particulière (par exemple des “musiques du monde”) se transforment et circulent lorsqu'ils sont intégrés au marché mondial des spectacles, par le biais d'agents, de firmes artistiques mais aussi d'amateurs, de réseaux techniques, d'objets42.
  • Les tribute bands dans les musiques populaires, formes dont la particularité tient à leur dimension tout à la fois locale, thématique et internationale, pourraient également être intéressants.
  • On pourrait également documenter la façon dont une part significative du monde musical professionnel favorise dorénavant les outils analogiques d'enregistrement et de sonorisation vintage ou reconstruits récemment au détriment de leurs équivalents numériques.
Ces trois derniers terrains auraient l'avantage d'inclure le territoire physique et le Web par lequel circulent nombre de conversations, prescriptions, répertoires etc. et où s'élaborent de nouvelles sociabilités. En outre, ils présentent l'intérêt d'être transversaux.
À partir d'une meilleure compréhension de ces diverses formes de savoirs (knowledge), d'acculturation et de circulation, on pourrait alors s'interroger sur la possibilité de les modéliser afin si besoin d'exporter dans d'autres sphères sociales leurs formes d'intelligence collective. Au point de vue méthodologique, cette séquence de la recherche est résolument pluridisciplinaire, recourant tour à tour et simultanément à la géographie sociale, à la sociologie, à l'histoire sociale des arts et des techniques, à l'économie de la culture et des réseaux, à l'ergonomie, à l'anthropologie des écritures et des interfaces, aux sciences de l'information et de la communication. Seraient également mobilisés des champs multipolaires tels que les cultural studies, les popular music studies, l'histoire sociale du cinéma et du théâtre, l'histoire et la sociologie des sciences, les humanités numériques.
Les enquêtes menées respectivement en Allemagne, à Berlin, et en Grande-Bretagne, à Edinburgh, pourraient également être d'une grande utilité. En premier lieu, elles permettraient d'observer comment des pratiques comparables sont déclinées dans un contexte culturel, politique, institutionnel différent. Par exemple, est-ce que la sensibilité aux questions environnementales à Berlin se traduit par des actions plus marquées dans le monde culturel subventionné et off ? De même, peut-on observer dans les festivals rock en Écosse des formes de prise en compte des questions environnementales comparables à celle que l'on connaît en France, et ce dans un contexte où l'économie privée est plus prégnante ? Existe t-il des formes de mutualisations dans le monde du spectacle, par exemple en matière de déplacements, de construction et de recyclage de décors les théâtres au festival d'Edinburgh ? Etc.
En deuxième lieu, les études menées à l'étranger auraient pour vocation de recueillir des modèles d'organisation (publique, associative, informelle etc.) et d'examiner si ces pratiques pourraient être importées et/ou amendées en France.
Enfin, et conséquemment à ce qui vient d'être dit, des partenariats impliquant – des académiques, des professionnel-l-es, des institutionnels, des réseaux- pourraient être initiés.

3) Un séminaire pour définir et discuter les problématiques liées à la transformation socio-écologique
Les sphères académiques, associatives, militantes, institutionnelles réfléchissent depuis un certain temps aux enjeux et problèmes liés à la transformation socio-écologique, y compris parfois dans la sphère culturelle. Ces réflexions et acquis gagneraient à être examinés dans la perspective d'être intégrés, traduits, réinterprétés, critiqués, amendés par le monde du spectacle et de la musique et les chercheur-es dédiées à ces sphères sociales. De même, il semble important qu'au fur et à mesure de son travail, l'équipe de recherche puisse présenter à d'autres acteurs les résultats de ses recherches et les questions imprévues qui ne manqueront pas de surgir.
Dans cette perspective, l'organisation d'un séminaire (public et enregistré) où artistes, organisateurs, chercheur-es, institutionnels, associations confronteraient leurs expériences, expérimentations et points de vue semble appropriée. Celui-ci pourrait être décliné sous diverses formes : exposés et communication, discussions à partir de scénarios présentant des situations conflictuelles et des controverses, débats thématiques précédés par des soumissions de textes ou de vidéos. La série de questions ci-dessous pourrait constituer le sommaire du séminaire ;

  • Art et antropocène
  • Les arts, le déchet et le recyclage
  • Renouvellement, créativité artistique et durabilité
  • Pratiques artistiques et hiérarchies sociales
  • Circulation, conservation et patrimonialisation des savoirs
  • Relocalisation de la programmation de spectacles et de la fabrique d'instruments
  • Écomusicologie
  • Low technologies et arts
Ces travaux seraient filmés, mis en ligne et librement accessibles.

4) Synthèse et finalisation
À l'issue de ces différentes phases (groupes de travail, séminaire, enquêtes de terrain), deux manifestations d'ampleur significatives seraient organisées.

a) Un colloque international
Afin de présenter et de débattre de ces différentes études de cas et de la contribution du monde culturel dans la transformation socio-écologique, un colloque international serait organisé. Il comprendrait bien entendu les chercheur-es français-es, écossais-es et allemand-es investi-es dans l'étude mais aussi des communications de chercheur-es extérieur-es et des contributions présentées par des personnalités et/ou collectifs ressource invités. Le colloque donnerait lieu à la publication de deux ouvrages, à des actes sélectionnés à l'issue de la conférence et à un ouvrage rendant compte des études de cas.

b) Conférence de consensus
Cette conférence élaborerait une série de préconisations concernant les arts de la scène à l'âge de l'anthropocène et leur contribution à la transformation socio-écologique. Seraient invités à participer aux débats : des représentants mandatés des trois groupes de travail, des personnalités qualifiées du monde du spectacle, un panel d'étudiants provenant de formations dédiées aux métiers du spectacle et à la transition socio-écologique ainsi qu'un groupe de profanes tirés au sort. Ces derniers bénéficierait au préalable d'une courte formation consacrée aux enjeux de la recherche et aux terrains abordés.

5) Résultats attendus à l'extérieur de la sphère académique

a) Nourrir le spectacle vivant, ses filières professionnelles, les établissements d'enseignement et les dispositifs dédiés à la patrimonialisation

Les résultats de l'enquête pourront alimenter les réflexions et les orientations du secteur du spectacle vivant et de la musique pour ce qui concerne le positionnement spécifique de ces mondes vis-à-vis de la transformation socio-écologique.

  • i) Les organismes professionnels et réseaux spécialisés tels que les sociétés d'auteurs et de gestion de droits, syndicats de salles de spectacles, réseaux sectoriels (musiques actuelles, théâtre, arts de la rue etc.), fédérations d'artistes et d'entreprises, filières professionnelles pourraient utiliser les résultats de l'enquête afin de mieux définir les formes concrètes de leur transition, se positionner dans les débats propres au spectacle vivant, initier des partenariats avec des collectivités et l'ADEME, commander d'autres études.
  • ii) Outre les résultats généraux de l'étude, les acteurs de terrain situés dans les territoires étudiés (festivals, salles de spectacles, équipes artistiques et techniques, établissements d'enseignement, associations) pourraient décliner des actions spécifiques en direction des mondes amateurs, de leurs usagers. Ils pourraient également soutenir la constitution de réseaux inter et extra culturels dédiés à la transformation socio-écologique.
  • iii) Les résultats de l'enquête concernant les transferts de savoir et formes d'apprentissages pourraient être mobilisés par des institutions et associations dédiées à l'enseignement de la musique et des arts de la scène. Celles-ci pourraient éventuellement s'inspirer de ces “méthodes”, organiser des sessions de formations avec leurs équipes enseignantes afin de les inclure dans leurs pratiques pédagogiques, insérer les questions écologiques dans les cours, des exercices etc. Ces possibilités concernent évidemment le collectif RPM partenaire du projet.
  • iv) Pour ce qui concerne les institutions patrimoniales et muséales, ces dernières pourraient notamment orienter leurs politiques d'acquisition, de conservation du côté des savoirs pratiques et immatériels qui circulent sur la toile et sont échangés dans les mondes artistiques. Par ailleurs, les formes de transmissions et de partages de savoirs étudiés pourraient éventuellement inspirer les formes d'exposition et de restitution de ces institutions ainsi que leur réflexion générale.

b) Informer les politiques publiques
L'étude devrait permettre aux structures, responsables locaux et nationaux en charge des politiques culturelles, de disposer d'outils d'analyse pour mieux faire coïncider culture et développement durable, soutien aux professionnels et pratiques amateures, décision publique et démocratie participative dans le champs culturel, action territoriale et pratiques sur le Web. Enfin, on peut imaginer que les études de cas menées en Allemagne et en Grande-Bretagne alimenteraient la réflexion des collectivités soutenant l'étude, voire pourraient constituer la base d'échanges et de collaborations.
Ces pistes de réflexion et d'action, pratiques autant que théoriques, pourraient être utilement exploitées par l'ADEME et ses directions régionales afin d'initier des opérations spécifiques en direction du monde du spectacle et de la culture : développement de filières nationales et locales écologiques, conseil aux acteurs institutionnels, importation de “bonnes pratiques culturelles” et d'innovations à l'extérieur du monde de la culture. Ainsi, à l'occasion de la construction de nouveaux bâtiments à usage culturel, l'ADEME pourrait suggérer aux opérateurs et usagers des dispositifs de mutualisation, de production et d'organisation en réseaux territoriaux, nationaux ou internationaux. De ce fait, la “haute qualité environnementale” des constructions s'insèrerait dans un continuum où pratiques, déplacements, production et formes d'organisations sociales seraient également durables et innovants.


1 Clive Hamilton Requiem pour l'espèce humaine, Presses de Sciences Po, 2013
2 Isabelle Stengers Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient. La Découverte, 2013
3 James Lovelock The Ages of Gaia: A Biography of Our Living Earth, OUP Oxford, 2000 (1ère édition 1995), voir également Bruno Latour Face à Gaïa Les empêcheurs de tourner en rond/La Découverte, 2015.
4 Sur la Révolution Scientifique : Steven Shapin La révolution scientifique Flammarion, 1998 ; Steven Shapin et Simon Schaffer Leviathan and the air-pump, Hobbes, Boyle, and the experimental life Princeton University Press, 1985
5 Francis Bacon La Nouvelle Atlantide 1627 (Traduit de l’anglais par M. Le Dœuf et M. Llasera) GF Flammarion, 2000
6 Bruno Latour Nous n'avons jamais été modernes Éditions de la Découverte & Syros, 1991-1997
7 Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz L'événement anthropocène Seuil, 2013
8 Philippe Descola Par-delà nature et culture Gallimard, 2005
9 Friedrich Engels La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845) Mille et une Nuits, 2009.
10 Jacques Testart, L'humanitude au pouvoir ; comment les citoyens peuvent décider du bien commun Seuil, 2015
11 Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain, Éditions du Seuil, 2001
12 Sur cette relation avec la nature : Philippe Descola op.cit. et Augustin Berque Le sauvage et l’artifice Gallimard, 1985, Whitehead Le concept de nature Vrin, 2006
13 Les métropoles théâtrales : Pascale Goetshel et Jean-Claude Yon (sous la direction de) Directeurs de théâtre XIX et XXe siècle. Publications de la Sorbonne, 2008. Jean-Claude Yon (sous la direction de) Les spectacles sous le second Empire. Armand Colin, 2010 ; Christophe Charle Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle à Paris , Berlin, Londres et Vienne. Albin Michel, 2008. Également les deux ouvrages de référence de Dominique Leroy : Histoire des Arts du Spectacle. Aspects économiques, politiques et esthétiques de la Renaissance à la Première Guerre mondiale, L’Harmattan, 1990 et Économie des arts du spectacle. Essai sur la relation entre l’économique et l’esthétique, L’Harmattan, 2013.
14 James H. Johnson Listening in Paris: A Cultural History (Studies on the History of Society and Culture) University of California Press, 1996.
15 Michael Chanan From Handel to Hendrix The Composer in the Public Sphere Viso, 1999 ; Christopher Small Music, Society, Education Wesleyan University Press, 2011 (1977)

16 Arthur Loesser Men, Women and Pianos: A Social History Dover Publications 2012
17 Porté par l'essor continu des technologies -la machinerie théâtrale, la mécanisation, l'électricité, le développement des transports collectifs, les communications, la radio, la télévision, l'électronique, le Net- l'art n'a cessé de se diversifier, se développer, d'étendre ses territoires, ses publics et des praticiens faisant de tous les nouveaux médiums son miel.
18 Raymonde Moulin De la valeur de l'art Flammarion,1995
19 Voir par exemple Tia DeNora Beethoven et la construction du génie. Musique et société à Vienne 1792-1803 (Traduit de l'anglais par Marc Vignal) Fayard 1998 (1995)
20 Christian Licoppe La formation de la pratique scientifique. Le discours de l’expérience en France et en Angleterre (1630-1820) La Découverte, 1996. ; Philippe Despoix Le monde mesuré. Dispositifs de l’exploration à l’âge des lumières Éditions Droz, 2005
21On notera au passage que l'histoire des spectacles et de la musique montre une alternance entre des périodes où les industries vantent d'abord des nouvelles technologies pour leur nouveauté (le phonographe, le cinéma, la radio, la télévision, le synthétiseur, le CD, l'ordinateur, le smartphone etc.) puis quand le public se lasse et une nouvelle séquence où l'on insiste sur les contenus auxquels les outils ou les médiums permettent d'accéder.
22Antoine Hennion La Passion Musicale, une sociologie de la médiation Métailé, 1993
23Mark Pedelty Ecomusicology: Rock, Folk, and the Environment Temple University Press, 2012 ; Jacob Smith Eco-Sonic Media University of California Press, 2015
24 Sur l'impact des technologies : Philippe Bihouix L'âge des low tech: Vers une civilisation techniquement soutenable Seuil, 2014. Sur les marques : Naomi Klein No logo. La tyrannie des marques (Traduit de l'anglais par Michel Saint-Germain) 2009 (2000)
25 On remarque au passage la proximité entre compatibilité et comptabilité... Un petit t bouge et c'est tout un monde qui bascule...
26 Antoine Hennion op cité. ; François Ribac L'avaleur de rock La Dispute 2004 ; Simon Frith, Will Straw & John Street (sous la direction de) The Cambridge Companion to pop & Rock Cambridge University Press, 2001.
27 H. Stith Bennet On becoming a rock musician University of Massachussets Press, 1980 ; Lucy Green How popular musicians learn, a way ahead for music education Ashgate, 2001 ; François Ribac “Les objets et les collectifs culturels acteurs de la diversité“ in Mouvements janvier février Paris 2005a, “Cultures techniques et reproduction sonore dans la musique populaire“ pages 97 à114 in Cahiers de Recherches du CEFEDEM et du CNSMD de Lyon  n°8. Lyon 2005 b, “Sur l’importance des disques et du recording dans la musique populaire et la techno“ pages 54 à 60 in Mouvements n°42 Novembre-Décembre 2005 c. Coordination (avec Renaud Epstein, Jean-Paul Gaudillière, Irène Jami, Patricia Osganian) du dossier “Techno, des corps et des machines“ in Mouvements n° 42 Novembre-Décembre Paris 2005
28 S.H Fernando jr. The news beats, culture et attitudes du hip-hop 1992 Éditions l'Éclat/Kargo, 2000
29 Nikolas Harnoncourt Le dialogue musical Monteverdi, Bach et Mozart 1984 (Traduit de l’allemand par Dennis Collins) Arcades/ Gallimard 1985 ; Joël-Marie Fauquet et Antoine Hennion La Grandeur de Bach L'amour de la musique en France au XIXe siècle Fayard, 2000
30 Frédéric Maurin Robert Wilson, le temps pour voir, l'espace pour regarder Actes Sud, 1998
31Sur l'essor des arts de la rue dans son acception actuelle : Serge Chaumier Arts de la rue. La faute à Rousseau. L'Harmattan, 2007 ; Denis Guenoun, Aurillac aux limites, théâtre de rue, Actes Sud et Éclat, 2005 ; Philippe Chaudoir, Discours et figures de l'espace public a travers les « arts de la rue ». La ville en scène, L'Harmattan, 2000
32 Nelly Oudshoorn et Trevor Pinch (ed) How Users Matter: The Co-Construction of Users and Technology The MIT Press 2003
33 Keith Richards et James Fox Life (Traduit de l'anglais par Bernard Cohen et Abraham Karachel). Points, 2011
34Là-dessus les ouvrages sur les premiers pas des crooners : Henry Pleasants The great american popular singers Simon and Schuster 1974 ; Gary Giddins Bing Crosby, a pocketful of Dreams : The Early Years, 1903-1940. Little, Brown and Company. 2001 ; Alison McCracken, Real men don't sing. Crooning in american culture Duke University Press, 2015
35 Howard Becker Outsiders Études de sociologie de la déviance 1963 (Traduit de l'américain par J.P Briand et J.M Chapoulie) Métailié, 1985 et Les mondes de l'art 1982 (Traduit de l'anglais par Jeanne Bouniort) Flammarion, 1988
36 Pierre Lévy L’intelligence collective, pour une anthropologie du cyberspace La Découverte, 1994
37Aleit Veenstra et Giselinde Kuipers “It Is Not Old-Fashioned, It Is Vintage, Vintage Fashion and The Complexities of 21st Century Consumption Practices” Sociology Compass 7/5 (2013): 355–365, 10.1111/soc4.12033
38 Shane Homan Access All Eras: Tribute Bands and Global Pop Culture Open University Press, 2006
39 Marie-Hélène Bacqué et Caroline Biewener L'empowerment, une pratique émancipatrice La Découverte, 2013
40Collectif RPM http://collectifrpm.org/qui-sommes-nous/ On se reportera également à l'ouvrage Enseigner les musiques actuelles ? RPM/IRMA Éditions, Paris 2012
41Voir à ce sujet Karim Hammou Une histoire du rap en France La Découverte 2014
42 Sur les rapports entre “global” et “local” voir Denis Laborde La mémoire et l’instant, les improvisations chantées du bertsulari basque Éditions Elkar, Donostia, Bayonne 2005

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