lundi, août 24, 2009

Podcast II : entretien avec Sean O'Hagan (des High Llamas)


Après la mise en ligne d'un long entretien avec Andy Partridge (du défunt groupe XTC), voici le deuxième podcast d'une série qui comprendra Cathal Coughlan et Martin Newell.
La conversation s'est déroulée en 2002 à Londres et a, en grande partie, porté sur la façon de composer et d'enregistrer de Sean. Ses réponses sont très précises et devraient intéresser toutes ceux et celles qui réfléchissent à la façon dont la musique populaire est fabriquée. Nombre de réponses concernent la nature de la collaboration de O'Hagan avec Stereolab et notamment en studio.
Pour mémoire, avant de diriger les High Llamas, Sean O' Hagan a appartenu à Microdisney qui comptait également le chanteur Cathal Coughlan (qui fonda ensuite Fatima Mansions). Des compilations -formidables- de Microdisney et de Fatima Mansion ont récemment été rééditées.
De même que dans l'entretien avec Partridge, les questions sont posées en français, traduites en anglais par Gilda du webzine Popnews et les réponses sont en anglais. L'entretien est au format mp3 et divisé en deux fichiers téléchargeables ici et là.

En complément de ce podcast, ci-dessous un extrait (inédit) de ma thèse où la relation de Sean O'Hagan avec la musique de Brian Wilson des Beach Boys est examinée. Ce texte prend place dans un chapitre de la thèse consacrée au mimétisme.
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Les High Llamas et Brian Wilson
En matière de pop music, Brian Wilson (Beach Boys) a maintes fois admis que pour réaliser l’album Pet Sounds (1965) il avait utilisé les méthodes du producteur Phil Spector (l’accumulation des pistes et des instruments, le mixage en mono ) et même nombre des musiciens de son équipe lors des séances d’enregistrement. Cependant, le disque est considéré –par nombre d’amateurs, de critiques et de musiciens, à commencer par Paul McCartney- comme un des chefs d’œuvre de la pop alors même qu’il emprunte une bonne part de son langage à un autre.
Vingt-cinq plus tard (1990), Sean O’Hagan –bientôt animateur du groupe High Llamas- enregistre son premier album solo après la séparation du groupe Microdisney. Or, la deuxième plage “Edge of the Sun“ est une sorte de reconstitution des “trucs” de Wilson dans Pet Sounds et Smile (1966-2004) . On y trouve des chœurs inspirés des Beach Boys, les mêmes cocottes de guitares (jouées à la Fender Stratocaster), les sons de clavinet, les accords joués au clavier sur tous les temps, un son de basse étouffé (mute) inspiré de celui de la bassiste Carole Kaye sur “Good Vibrations”, un accompagnement dominé par les tambours de basque si typiques de la touch des Boys, peu de batterie. Dans l’album suivant (Santa Barbara 1992), un morceau porte le nom d’un album des Beach Boys (Holland 1973) et certains arrangements évoquent encore plus explicitement le son et les arrangements de ce disque. Puis, avec Gideon Gaye (1995), la fascination de O’Hagan pour les ouvrages de Brian Wilson s’affiche encore plus ouvertement. Les saillances typiquement wilsoniennes (ou inspirées de Carl and the passions-So tough -1972- et de Holland) envahissent l’orchestration : orgues des années soixante, accords tenus de vibraphone avec pédale de résonance et léger vibrato, trémolo sur les mélodies de guitares électriques, banjo, bruitages urbains. Aux emprunts orchestraux, s’ajoute un agencement inspiré de Pet Sounds et de la période psychédélique : morceaux instrumentaux placés entre des chansons, petites séquences glissées entre des plages plus longues, fades (out ou in) entre les morceaux, bruitages, rumeurs. Et pourtant… Si tout (grand) amateur reconnaît, presque instantanément, le cachet Beach Boys, la patte particulière de Sean est aussi là : une façon spécifique de jouer avec les répétitions, un style mélodique et harmonique singulier (substitutions d’accords tritoniques inspirées du jazz, marches harmoniques en quarte), des modulations audacieuses, une signature sonore (notes étirées jouées avec les violoncelles, boîtes à rythmes d’orgue des années soixante, utilisation récurrente des glissandi, dosage des instruments), des références évidentes à la techno et à la country, le timbre nasal de la voix de O’Hagan. Au final, ce qui retient l’attention de l’auditeur, c’est l’art de l’agencement d’O’Hagan, la façon dont il (ré) insère dans sa musique les “trucs” wilsoniens. Même s’il ne fait aucun doute qu’il les cite, il est néanmoins clair qu’il les annexe. De fait, Giddeon Gaye, le disque le plus explicitement wilsonien de O’Hagan, est le premier album des Highs Llamas a obtenir un –relatif- succès commercial en UK, USA et au Japon. Il est plébiscité par la presse spécialisée et remarqué par de nombreux professionnels. Au fur et à mesure des albums qui vont suivre, O’Hagan est de plus en plus demandé comme arrangeur ou collaborateur (notamment avec Stereolab et les Boo Radleys) jusqu’à ce que les Beach Boys eux-mêmes le contactent et lui proposent de les produire (projet qui finalement ne verra jamais le jour). Loin d’être un clone de Wilson, O’Hagan a fait de sa passion un tremplin qui l’a révélé, à lui-même, et aux autres, jusqu’à devenir un arrangeur original que plus personne ne compare négativement à son modèle. Mettant ses pas dans ceux de ses ancêtres pop (Beach Boys, Left Banke, Free Design, Bob Lind, Shuggie Otis, Steely Dan, l’easy listening des fifties-sixties) et assurant fermement ses prises, il a emprunté un versant de la montagne que personne n’avait escaladé avant lui. D’ailleurs, de son “aveu“ même, le style High Llamas est né avec “Edge of The Sun” : “Pourquoi donc Arlequin s’habille t-il de tissus mêlés, marquetés, chinés ou tigrés… ? D’avoir mimé tout le monde et ses maîtres, il en a pris les formes et les couleurs. L’épaisseur, en profondeur, de ses habits, et la mosaïque superficielle de son manteau donnent quelque idée de l’immense mémoire corporelle” (Serres 2002, page 73)
En collectionnant les autres, nous nous fabriquons un tremplin pour devenir nous-mêmes.