mardi, octobre 27, 2009

artistes 2020



Je viens de participer à un ouvrage collectif et prospectif consacré au devenir des artistes. Le livre s'appelle Artistes 2020, est édité par l'Irma (Information et Ressources des Musiques Actuelles) et résulte d'une collaboration entre cette dernière et l'Adami (société civile pour l'Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes).
Plus d'infos (la liste des contributeurs l'éditorial, les références etc) : ici
Interviews des différents contributeurs : ici
Acheter le livre en ligne :
Voici le texte :

Un nouveau contrat social par François Ribac, compositeur de théâtre musical et chercheur en sociologie

1 De l'utopie...

C'est en 1627 qu'est publiée La Nouvelle Atlantide. Écrite par le savant anglais Francis Bacon, cette utopie décrit une île où des savants éclairés gouvernent un monde parfait. Sous couvert de descriptions, Bacon dresse la feuille de route de la Révolution Scientifique : la sélection des espèces végétales et animales, le travail de l'acier, la mise au point de machines à tisser, le domptage de l'électricité et de la vapeur, la culture des microbes dans les laboratoires et même les techniques de reproduction sonore et les réseaux de communication !

“Nous avons aussi des maisons pour les sons ; là, nous essayons tous les sons, et mettons en évidence leur nature et leur mode de génération... Nous savons produire des sons faibles de telle sorte qu’ils apparaissent comme graves et forts. (...) Nous avons encore divers échos surprenants, qui renvoient la voix plusieurs fois et, en quelque sorte, la renvoient en l’air... Nous avons certains instruments capables de seconder l’ouïe ; posés sur l’oreille, ils augmentent grandement la capacité auditive... Nous avons enfin des moyens pour transporter les sons dans des conduits et des tuyaux, y compris sur de longues distances et des trajets sinueux” [1].

Mais ce n'est pas tout. La Nouvelle Atlantide est aussi un manifeste politique qui s'adresse au Roi : "laissez nous travailler et débattre dans nos laboratoires et, en échange, nous mettrons à votre disposition nos inventions et ferons de la terre un paradis". Du coté de la théorie, ce grand partage entre la science et “les autres” est justifié par la différenciation établie entre la nature, œuvre parfaite du créateur (Dieu) et domaine des savants et la culture, le monde humain où les passions et l'irrationalité se déchaînent [2].

2 ... À la réalité

Dès la fin du 19e siècle, des inventeurs/entrepreneurs comme Edison ou Bell ont fait de ce programme une réalité. Grâce à la domestication de l'électricité et des ondes, à la mise en place de réseaux -(inter)nationaux- de diffusion et à des innovations comme le phonographe ou la radio, leurs firmes ont (notamment) donné corps à l'industrie musicale. Là encore, un pacte a été proposé : "si vous nous laissez la maîtrise de la technologie, nous reproduirons le plus fidèlement possible la musique. Nous débusquerons aussi les créateurs (dorénavant artistes) dans les tréfonds de la société et diffuserons leurs chefs-d'œuvres dans tous les pays du monde grâce à des concerts, des disques et aux ondes radio. En échange, les états devront financer des infrastructures et garantir la propriété intellectuelle tandis que les citoyens rétribueront nos services”. En somme, en dressant une barrière hermétique entre les professionnels et le public (présenté comme une masse anonyme), on a étendu le grand partage des scientifiques à l'intérieur même de la culture. Ce marché (c'est le cas de le dire) a produit de grandes choses. Le phonographe et la radio ont ainsi permis aux consommateurs de découvrir d'innombrables œuvres et interprètes, de les comparer, et -point essentiel- d'éprouver et de partager des moments de plaisir intenses. Enfin, de Bing Crosby à Robert Alagna, en passant par les Beatles, les supports enregistrés ont initié des générations entières au vocabulaire musical tandis que, dans les studios, un nouveau monde sonique naissait. Toutefois, cette séparation entre les spécialistes et les profanes est de plus en plus problématique.

3 Les rouages grincent

En effet, la diffusion de la musique enregistrée à permis à nombre d'amateurs de devenir de solides experts (mélomanes et/ou musicien-nes). Cette tendance a été accentuée par l'essor des réseaux numériques grâce auxquels les internautes découvrent chaque jour de nouvelles Atlantide et le font savoir -via des réseau de peer to peer ou des plate-formes de discussion- all over the world. Pour ceux qui crierait au piratage, on rappellera que ce sont justement l'industrie musicale et les états qui ont imposé le passage au numérique et contraint les consommateurs à changer d'équipement et à racheter leurs disques au prix fort. Ce faisant les promoteurs de la “qualité sonore” avaient négligé les impacts de la suppression physique de la différence entre la copie et l'original : la perte du monopole des éditeurs sur la reproduction à grande échelle et la fragilisation de la rémunération des ayants droits [3].

Dans un même ordre d'idées, nombre de révolutions musicales (songez au rock'n'roll, à la musique baroque ou à la techno) ont été conçues en dehors des circuits professionnels. Certains genres musicaux ont même transformé de vulgaires objets de consommation culturelle en instruments de musique (pensez aux platines vinyles des DJs) ! L'exemple est instructif dans la mesure où il nous montre, d'une part, qu'une innovation n'émerge pas forcément des laboratoires des firmes, et, d'autre part, que la créativité (au sens d'un nouveau monde qui émerge) n'est pas nécessairement connectée avec “l'excellence artistique".

Troisième exemple, les créateurs (trices) n'ont jamais été aussi bien traité-es qu'on veut bien nous le dire. Ainsi, il y a belle lurette que les grandes firmes discographiques ne cherchent plus eux-mêmes les “nouveaux talents” mais confient ce travail à de petites firmes qui -si le succès advient- cèdent leurs poulains aux plus offrants [4]. Si l'on ajoute que moins un artiste a de notoriété moins il (elle) est considéré-e, on comprend que l'exploitation des plus faibles, l'optimisation des profits et l'externalisation sont la règle. En définitive, les fondations du pacte sont obsolètes et son application est souvent contestable.

4 En 2020 ?

Dès lors, quelle pourrait bien être la physionomie de la “création” et le portrait de “l'artiste musicien” en 2020 ? Comment pourraient s'esquisser les contours d'un nouveau pacte ?

Parce qu'elle renvoie à un artiste isolé, ne trouvant son inspiration qu'en soi-même, la rhétorique -quasi religieuse- de la “création” est caduque. Dans le monde d'aujourd'hui comme dans celui de demain un artiste devra s'insérer dans un réseau d'acteurs, d'institutions, de techniques, de conventions, de pratiques, de circulations. Dans les années qui viennent, il y a fort à parier que tous ceux et celles qui concourent aux productions artistiques revendiquerons la place qu'il leur revient. Renoncer à cette fétichisation du neuf et de l'individuel, née au moment historique où le marché avait besoin de produits originaux pour conquérir de nouveaux clients, serait considérable. Ce serait d'autant plus nécessaire que, dans les faits, ce sont plus les découvreurs que les créateurs qui sont les véritables dieux de ces jeux.

Dans un livre plein d'humour et de sérieux, le sociologue Howard Becker nous a rappelé que la définition de ce qu'était (ou pas) un musicien-n-e variait considérablement en fonction des styles[5]. Gageons qu'en 2020, il sera tout aussi difficile de dessiner un portrait robot de “l'artiste”. Cependant, on peut néanmoins faire le pari que, dans dix ans, de nouveaux hip hop, des nouvelles techno auront inventé de nouveaux savoir faire, investi de nouveaux lieux de performance, imaginé d'autres façons d'écouter. On peut aussi prévoir que -comme dans le passé- ces différents mondes se rencontreront et donneront naissance à des nouveaux hybrides qui feront frémir les collectionneurs d'étiquettes et les “lignes budgétaires”.

Nul doute qu'à l'origine de ces foisonnements, se trouveront des amateurs qui auront remis en cause les termes du partage entre les professionnels et le public ou, pour le dire autrement, dont les pratiques réinventeront l'espace public. Nul doute non plus que lorsqu'ils (elles) effectueront leurs débuts, on n'appellera pas (encore) ces pionniers des “artistes” et que certains douteront de la valeur (tant esthétique qu'économique) de leurs productions. Alors, il faudra que ces sceptiques se rappellent que dans les controverses passées sur l'amiante, le SIDA, les myopathies, le traitement de la douleur, les soins palliatifs, les tracés du TGV, les OGM, les logiciels libres, l'exposition aux ondes, les pesticides, les rayonnements radioactifs les profanes avaient perçu des choses que les experts n'avaient pas vu voire parfois dissimulaient [6].

Bacon et Edison nous ont appris que les innovations rendaient la vie passionnante. De son côté, l'art nous enseigne que la raison statistique et la logique industrielle pouvaient menacer la singularité. Au lieu d'opposer stérilement ces registres, il nous faudrait plutôt trouver des façons où la stabilité (appelons cela “institutions” et “statuts”) et la souplesse (appelons cela “liberté” et “amateurs”) pourraient coexister. Or, ni le temple public d'Avignon (où le face-à-face entre in et le off évoque plus une salle de cotations qu'une politique publique) ni l'industrie musicale ne proposent de réponses satisfaisantes aux questions -éthiques, technologiques, politiques, économiques, anthropologiques- qui taraudent la société. Il nous faut donc inventer un nouveau contrat afin de poser les bases d'une nouvelle Nouvelle Atlantide où l'universel résulterait moins d'une imposition que d'une coopération entre tous les acteurs [7].

Dix ans pour (re)devenir polythéistes, c'est sûrement jouable.



[1] Francis Bacon La Nouvelle Atlantide traduit par Michèle Le Doeuf et Margaret Llasera. Flammarion. Paris, 2000.

[2] Sur ce grand partage : Bruno Latour Nous n'avons jamais été modernes Éditions de la Découverte & Syros. Paris 1991-1997

[3] Par ailleurs, cette crise du droit d'auteur intervient dans un contexte général où les aspects pervers de la propriété intellectuelle (par exemple les brevets en matière de médicaments) sont de plus en plus sensibles.

[4] Au passage, on remarquera combien les métaphores appliquées aux artistes telles que “poulains”, "écuries”, “protégés” etc. évoquent la domesticité.

[5] Howard Becker Les mondes de l'art 1982 (Traduit de l'anglais par Jeanne Bouniort) Flammarion Paris 1988

[6] Là-dessus : Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe Agir dans un monde incertain, essai sur la démocratie technique. Seuil, Paris 2001

[7] D'autant que dans ce monde, l'universel a fâcheusement tendance a être blanc et masculin.


mardi, septembre 15, 2009

18 septembre 2009 : une invitation dans l'autre monde



Je présenterai ma thèse "Feedback ! Pour une généalogie des musiques populaires” (et le livre que je prépare) le 18 septembre à 21H30 sur l'espace Second Life “Médias Critique” à l'invitation de Gilbert Quelennec qui anime notamment le groupe Arts et monde social

Voici le texte de présentation :

“Feedback ! Pour une généalogie des musiques populaires par François Ribac, compositeur et chercheur en sociologie, membre du Laboratoire Lorrain de Sciences Sociales (2L2S) de l'Université de Metz.
Je m'intéresse aux usages des technologies domestiques et professionnelles d’enregistrement dans la musique populaire. Mon
propos est de montrer que ces techniques jouent un rôle essentiel à tous les moments de l’existence (plaisir musical, sociabilité, apprentissage d’un genre musical, composition) et que leurs usages n’ont cessé d’être réinventés par des amateurs. À partir de là, l’observation de différentes déclinaisons du recording met en évidence que ces pratiques ont en commun un usage du feedback. Principe que l’on retrouve tant dans la technologie que dans les échanges interpersonnels (et notamment les performances publiques). Cela étant, je propose l’idée que ce type d’organisation des choses et des êtres s’inscrit dans une généalogie technologique, intellectuelle et politique qui prend sa source dans la déclinaison Britannique de la Révolution Scientifique. Cette recherche (qui a donné lieu à une thèse) a été étayée par une enquête de terrain menée en Ile de France de 2005 et 2007, la mobilisation de travaux issus de l’histoire et de la sociologie des sciences, de disciplines qui s’intéressent au corps, de répertoires musicaux et de cartes de réseaux réalisées avec le logiciel RéseauLu d’Andreï Mogoutov.

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lundi, août 24, 2009

Podcast II : entretien avec Sean O'Hagan (des High Llamas)


Après la mise en ligne d'un long entretien avec Andy Partridge (du défunt groupe XTC), voici le deuxième podcast d'une série qui comprendra Cathal Coughlan et Martin Newell.
La conversation s'est déroulée en 2002 à Londres et a, en grande partie, porté sur la façon de composer et d'enregistrer de Sean. Ses réponses sont très précises et devraient intéresser toutes ceux et celles qui réfléchissent à la façon dont la musique populaire est fabriquée. Nombre de réponses concernent la nature de la collaboration de O'Hagan avec Stereolab et notamment en studio.
Pour mémoire, avant de diriger les High Llamas, Sean O' Hagan a appartenu à Microdisney qui comptait également le chanteur Cathal Coughlan (qui fonda ensuite Fatima Mansions). Des compilations -formidables- de Microdisney et de Fatima Mansion ont récemment été rééditées.
De même que dans l'entretien avec Partridge, les questions sont posées en français, traduites en anglais par Gilda du webzine Popnews et les réponses sont en anglais. L'entretien est au format mp3 et divisé en deux fichiers téléchargeables ici et là.

En complément de ce podcast, ci-dessous un extrait (inédit) de ma thèse où la relation de Sean O'Hagan avec la musique de Brian Wilson des Beach Boys est examinée. Ce texte prend place dans un chapitre de la thèse consacrée au mimétisme.
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Les High Llamas et Brian Wilson
En matière de pop music, Brian Wilson (Beach Boys) a maintes fois admis que pour réaliser l’album Pet Sounds (1965) il avait utilisé les méthodes du producteur Phil Spector (l’accumulation des pistes et des instruments, le mixage en mono ) et même nombre des musiciens de son équipe lors des séances d’enregistrement. Cependant, le disque est considéré –par nombre d’amateurs, de critiques et de musiciens, à commencer par Paul McCartney- comme un des chefs d’œuvre de la pop alors même qu’il emprunte une bonne part de son langage à un autre.
Vingt-cinq plus tard (1990), Sean O’Hagan –bientôt animateur du groupe High Llamas- enregistre son premier album solo après la séparation du groupe Microdisney. Or, la deuxième plage “Edge of the Sun“ est une sorte de reconstitution des “trucs” de Wilson dans Pet Sounds et Smile (1966-2004) . On y trouve des chœurs inspirés des Beach Boys, les mêmes cocottes de guitares (jouées à la Fender Stratocaster), les sons de clavinet, les accords joués au clavier sur tous les temps, un son de basse étouffé (mute) inspiré de celui de la bassiste Carole Kaye sur “Good Vibrations”, un accompagnement dominé par les tambours de basque si typiques de la touch des Boys, peu de batterie. Dans l’album suivant (Santa Barbara 1992), un morceau porte le nom d’un album des Beach Boys (Holland 1973) et certains arrangements évoquent encore plus explicitement le son et les arrangements de ce disque. Puis, avec Gideon Gaye (1995), la fascination de O’Hagan pour les ouvrages de Brian Wilson s’affiche encore plus ouvertement. Les saillances typiquement wilsoniennes (ou inspirées de Carl and the passions-So tough -1972- et de Holland) envahissent l’orchestration : orgues des années soixante, accords tenus de vibraphone avec pédale de résonance et léger vibrato, trémolo sur les mélodies de guitares électriques, banjo, bruitages urbains. Aux emprunts orchestraux, s’ajoute un agencement inspiré de Pet Sounds et de la période psychédélique : morceaux instrumentaux placés entre des chansons, petites séquences glissées entre des plages plus longues, fades (out ou in) entre les morceaux, bruitages, rumeurs. Et pourtant… Si tout (grand) amateur reconnaît, presque instantanément, le cachet Beach Boys, la patte particulière de Sean est aussi là : une façon spécifique de jouer avec les répétitions, un style mélodique et harmonique singulier (substitutions d’accords tritoniques inspirées du jazz, marches harmoniques en quarte), des modulations audacieuses, une signature sonore (notes étirées jouées avec les violoncelles, boîtes à rythmes d’orgue des années soixante, utilisation récurrente des glissandi, dosage des instruments), des références évidentes à la techno et à la country, le timbre nasal de la voix de O’Hagan. Au final, ce qui retient l’attention de l’auditeur, c’est l’art de l’agencement d’O’Hagan, la façon dont il (ré) insère dans sa musique les “trucs” wilsoniens. Même s’il ne fait aucun doute qu’il les cite, il est néanmoins clair qu’il les annexe. De fait, Giddeon Gaye, le disque le plus explicitement wilsonien de O’Hagan, est le premier album des Highs Llamas a obtenir un –relatif- succès commercial en UK, USA et au Japon. Il est plébiscité par la presse spécialisée et remarqué par de nombreux professionnels. Au fur et à mesure des albums qui vont suivre, O’Hagan est de plus en plus demandé comme arrangeur ou collaborateur (notamment avec Stereolab et les Boo Radleys) jusqu’à ce que les Beach Boys eux-mêmes le contactent et lui proposent de les produire (projet qui finalement ne verra jamais le jour). Loin d’être un clone de Wilson, O’Hagan a fait de sa passion un tremplin qui l’a révélé, à lui-même, et aux autres, jusqu’à devenir un arrangeur original que plus personne ne compare négativement à son modèle. Mettant ses pas dans ceux de ses ancêtres pop (Beach Boys, Left Banke, Free Design, Bob Lind, Shuggie Otis, Steely Dan, l’easy listening des fifties-sixties) et assurant fermement ses prises, il a emprunté un versant de la montagne que personne n’avait escaladé avant lui. D’ailleurs, de son “aveu“ même, le style High Llamas est né avec “Edge of The Sun” : “Pourquoi donc Arlequin s’habille t-il de tissus mêlés, marquetés, chinés ou tigrés… ? D’avoir mimé tout le monde et ses maîtres, il en a pris les formes et les couleurs. L’épaisseur, en profondeur, de ses habits, et la mosaïque superficielle de son manteau donnent quelque idée de l’immense mémoire corporelle” (Serres 2002, page 73)
En collectionnant les autres, nous nous fabriquons un tremplin pour devenir nous-mêmes.

dimanche, juin 28, 2009

Intervention à Dijon le 3 juillet : festivals et territoire



À l'invitation du Festival dijonnais Mégaphone , j'interviens le 3 juillet lors des journées d'étude "Interphone” organisées conjointement par Why Note (à Dijon), le réseau Futurs Composés et le Centre de Documentation de la Musique Contemporaine (CDMC).
La thématique des journées est centrée sur le rôle des festivals en matière de découverte musicale, leur place dans les politiques culturelles publiques et leur relation au territoire. Mon intervention s'intitule Quelques réflexions sur la politique publique en matière de musique et de sa déclinaison dans les territoires et en voici le plan :
En matière de musique, la politique publique se décline la plupart du temps dans le territoire, sous la forme de représentations publiques destinées à des spectateurs. Pour ce faire, on confie à des prescripteurs (trices) le soin de sélectionner des (bons) spectacles et de les présenter dans une certaine temporalité. Pour définir ces opérations on parle de programmation. Mon intervention interrogera chacun de ces termes et leur efficacité. Puis, je m'intéresserai à la figure de l'usager et ce qu'il (elle) peut attendre de ce dispositif et en particulier d'un festival.
Le programme complet avec tous les intervenant-es est ici
La liste des concerts qui se déroulent en parallèle ( à moins que ça ne soit l'inverse !) est
J'interviens donc le 3 juillet 2009 à 14 h 30 à l' Institut Denis Diderot - 36, rue Chabot Charny, Dijon. Les débats se déroulent de 10h à 17h30 et l'entrée est libre
Informations et inscriptions : par téléphone au 03 80 73 31 59

vendredi, avril 24, 2009

Free parties le 29 avril à Trégeux (Côtes d'Armor)

photo empruntée à djokr75

Après avoir présenté un papier à Liverpool au BFE (Brithish Forum for Ethnomusicology) la semaine dernière, je participe le 29 avril à une discussion publique sur les free parties.
L'initiative, organisée par l'ADDM 22 et techno_tonomy, est intéressante en cela qu'elle convie la plupart des acteurs à s'exprimer : organisateurs de free parties, porte-paroles de la techno, état, agriculteurs, collectivités territoriales, Médecins du Monde. En d'autres termes, il s'agit d'évoquer toutes les dimensions (spatiales, techniques, sanitaires, esthétiques) de ces évènements.
Pour ma part, j'introduirai le débat en insistant justement sur les multiples facettes des free parties : déplacement des évènements musicaux à l'extérieur des (centre) villes, gratuité, auto régulation, figure du DJ, place du corps, usage original de la technologie électronique, mobilité des sound-systems et aspect éphémère des évènements, variété des esthétiques musicales.
Je rappellerai aussi que la techno et les free parties s'inscrivent dans des tendances plus générales : l'entrée dans l'espace domestique des équipements de musique électronique et de l'informatique (l'un des noms de la techno est "house music"), l'essor des communications (et notamment Internet), le développement continu d'organisations indépendantes développant des expertises spécifiques et luttant pour les promouvoir (ONG, logiciels libres etc..), la crise des normes républicaines en matière de territoire...

La rencontre se passe le mercredi 29 avril 2009, de 17 h à 19 h 30 Salle Grand large. LE GRAND PRÉ | LANGUEUX
Renseignements et inscriptions: addm 22, 2 place Saint-Michel 22000 Saint-Brieuc
Coralie Hersan coralie.hersan@addm22.com 02 96 68 35 35
Julien Pion julien.pion@addm22.com
Programme et liste des participants : ici

Pour mémoire, on peut se reporter au numéro de la revue Mouvements consacré à la Techno que j'avais dirigé avec Renaud Epstein, Jean-Paul Gaudillière, Irène Jami et Patricia Osganian et notamment à trois articles :
1 Notre éditorial
2 L'article de Renaud Epstein et Astrid Fontaine consacré aux Free Parties et qui examinait notamment la politique “sanitaire” de l'état
3 Mon article sur la place des répertoires enregistrés dans ce monde
Plus généralement, tous les articles de ce dossier (où l'on trouve notamment un papier de Trevor Pinch sur le Moog ou de l'historien de la reproduction sonore Jonathan Sterne) sont intégralement consultables et téléchargeables en pdf ici

lundi, mars 23, 2009

La balle au centre

Dans le cadre du Festival “retours vers le futur” à Chateauroux, après la projection du film “A Hard Day's Night” des Beatles, j'anime une causerie sur les façons dont le cinéma a intégré le rock. Ce festival, dédié notamment aux archives sonores, se déroule au cinéma l'Appolo et est co-organisé avec le Centre Images-Agence Régionale du Centre pour le cinéma et l’audiovisuel. Le programme (riche) est ici

Le
3 avril à 20h 45, au Cinéma Apollo/ Maison de l'image 4 rue Albert 1er - 36000 Châteauroux
tel 02 54 60 18 34

dimanche, mars 01, 2009

rock et cinéma (encore une fois)

Je reproduis ci-dessous un entretien publié sur le site du webzine Il était une fois le cinéma. Il s'agissait d'évoquer les relations entre le rock et le cinéma. Si vous préférez lire l'article sur leur (excellent) site, où l'on trouve par ailleurs nombre d'articles, d'entretiens, de chroniques et même des extraits de la revue papier “Jeune Cinéma”, c'est Ici

Sur les rapports entre Rock et Cinéma : entretien avec François Ribac, compositeur de théâtre musical et sociologue

Sur les rapports entre Rock et Cinéma : entretien avec François Ribac, compositeur de théâtre musical et sociologue

Article de Marie Corberand et Olivia Dallemagne

"On ne peut pas schématiser “le rock", sous peine de le réduire. Il faut le comprendre, l'aborder dans sa diversité, comme une galaxie de styles qui compte des généalogies, des ancêtres, des révoltes, des alternatives : un monde en mouvement."

Quelle a été votre première expérience de rock au cinéma ?

J'avais douze ans et la mère de mon meilleur ami nous a emmenés un mercredi au cinéma place Gambetta (à Paris) voir Quatre garçons dans le vent A Hard Day’s Night, le premier film des Beatles. Quelques jours après, j’ai acheté une petite guitare électrique en plastique aux Magasins Réunis (Place de la République). Puis, j'ai proposé à deux amis de faire une imitation (en playback) des Beatles, chacun incarnant un des membres du groupe (sauf Ringo que personne ne voulait jouer)... J’avais déjà entendu les Beatles, ma mère possédait l'album Abbey Road qui était leur dernier disque enregistré (1969), mais ma vocation musicale date vraiment de ce film.


Quels seraient, pour vous, les différents styles de films rock ?

Dans une discussion antérieure avec Thierry Jousse (publiée dans les revues Mouvements et Volume), nous avions réfléchi à une sorte de typologie :

1- Il y a tout d’abord les films tournés au moment où les artistes ou les formations sont en activité, ce que j'appellerais le "rock en action”. Il s'agit principalement de documentaires (ou de films se présentant comme tels) consacrés à des festivals, des tournées ou des concerts, comme précisément A Hard Day's Night (1964). Ce genre particulièrement foisonnant a été détourné par Rob Reiner dans This Is Spinal Tap (1984). Présenté comme un vrai documentaire sur un groupe, le film narre avec férocité les conflits internes au sein du groupe, les changements de style au gré des modes, les tournées harassantes et dresse un portrait très dur des acteurs de l'industrie musicale (managers, attachés de presse, patrons de majors, artistes, entourage…). This Is Spinal Tap est devenu tellement emblématique dans le monde anglo-américain que les acteurs du film ont d’ailleurs fini par créer un vrai groupe de rock et faire des disques et des concerts. Il y a là un effet de réalité que je trouve fascinant.

2- Viennent ensuite les films de fiction dont les protagonistes sont des musicien-ne-s de rock. On pense aux nombreux rôles interprétés par Presley à Hollywood (Jailhouse rock de Richard Thorpe -1957- étant sûrement le plus réussi), aux films Help de Richard Lester (1965) et au dessin animé Yellow Submarine de George Duning (1968), avec les Beatles. On pense aussi aux Monkees, quatre jeunes acteurs (dont deux étaient des musiciens confirmés) qui jouaient le rôle d'un groupe de pop dans une série de télévision américaine des années soixante. Dans ces “films prétextes”, la narration a pour objectif d'introduire des situations où les artistes peuvent chanter, une contrainte qui rappelle évidemment les comédies musicales où l'on bascule sans cesse de la convention théâtrale à celle du music hall.
À cette “catégorie” pourraient s'ajouter les productions où des stars du rock, par exemple Marianne Faithfull, Mick Jagger, David Bowie, Madonna, Eminem deviennent des acteurs dans des films pas forcément musicaux. On est là en présence du moment où les stars du rock deviennent (ou tentent de devenir) des stars du cinéma.

3- Il y a également les films qui s'inspirent de la vie d'artistes rock, de disques, de styles musicaux ou de l'industrie musicale. Je pense notamment à des films comme Tommy (1975), l'opéra rock des Who transposé à l'écran par Ken Russel, au chef-d'œuvre de Brian De Palma Phantom of the paradise (1973), et bien sûr aux biopics. Pour illustrer ce domaine, en plein essor, on peut citer Walk the line (de James Mangold - 2005), à propos de Johnny Cash, ou Control (de Anton Corbijn -2007), qui propose une interprétation - à mon avis problématique - du suicide de Ian Curtis (chanteur de Joy Division). Cette approche rétrospective a aussi son pendant documentaire ; citons l'enquête sur Kurt Cobain de AJ Schnack (About a Son - 2008), ou ethnographique (Mississippi Blues de Bertrand Tavernier et Robert Parrish - 1983) et, plus près de nous, la série de films sur le blues produit par Scorsese. Dans un registre, à mi-chemin entre fiction et documentaire, on doit aussi mentionner The Osbournes, le reality-show consacré à la famille de la star du rock Ozzy Osbourne. Ce qui est intéressant dans ce registre, c'est que le rock devient la matière même de la fiction, sa matrice.

4- La quatrième catégorie - cousine de la précédente - consiste dans des films qui n’utilisent pas forcément de musique rock mais qui lui empruntent son “esprit”, ses figures, ses personnages. Prenons par exemple l’Equipée sauvage de László Benedek, avec Marlon Brando (1953). Il n'y a pas beaucoup de musique dans le film mais Brando et sa bande de blousons noirs à moto incarnent d’une certaine façon les jeunes qui écoutaient du rock’n’roll ou tout du moins de la “musique de jeunes” dans les fifties. On peut aussi trouver cette trace du rock dans les films de David Lynch (qui recourt par ailleurs beaucoup à cette musique comme une sorte d'acteur à part entière de son vocabulaire), etc...

5– Cinquième catégorie, les films qui utilisent le rock comme bande son. Les archétypes de ce genre sont probablement Blackboard Jungle de Richard Brooks (1955) avec “Rock around the clock" de Bill Haley, ou encore Easy Rider de Dennis Hopper (1969), véritable catalogue du son psychédélique américain des sixties.
Cet usage du rock s'est d'autant plus répandu avec le temps que, d'une part, les éditeurs et/ou les firmes de disques se sont rendu compte qu'ils pouvaient gagner beaucoup d'argent en plaçant des chansons dans des films et, d'autre part, parce qu'à l'image de leur public, nombre de réalisateurs ont grandi avec le rock.
Avec cette relation, on comprend un peu plus ce que le rock et le cinéma s'apportent mutuellement : nombre de chansons trouvent une audience grâce au cinéma, tandis que certaines songs deviennent les marqueurs indélébiles de certains films. Ainsi, pour beaucoup de gens, la version de Harry Nilsson de “Everybody’s talking” (composée par Fred Neil) évoque immédiatement Macadam Cowboy de John Schlesinger (1969), et la figure de Dustin Hoffmann.

Bien sûr, au fur et à mesure que le temps passe et que les supports sur lesquels se posent les images (clips, télévision, jeux vidéo, web) et les styles musicaux se diversifient, toutes ces “catégories” se démultiplient et s'hybrident.





Concernant les fictions inspirées par le rock, les biopics, quel regard portez-vous sur les films récents (Walk the line, Control, ou I'm not there sur Bob Dylan) ?

Ce développement des biopics rejoint un peu ce que le sociologue anglais Simon Frith dit depuis environ quinze-vingt ans et que j'ai mentionné à l'instant : le rock n’est plus uniquement une musique de jeunes. Du côté du public comme de celui des cinéastes, des générations ont été formées par le rock et s'intéressent à son histoire. De ce fait, les biopics réfléchissent (dans tous les sens du terme) à la musique qui a construit ceux et celles qui l'aimaient. D'autant qu'à travers le portrait d'artistes, nombre de cinéastes esquissent les contours d'une époque, non pas, comme on l'entend souvent, parce que la musique reflète la société, mais plutôt parce que la musique est un des moments de la société, une pratique au sein de laquelle se manifestent et se re-construisent les rapports sociaux. Or, ces relations entre les personnes sont le sujet même du cinéma.

Il me semble que c'est un peu de cette façon que Todd Haynes évoque l'Amérique avec I'm not there. Les différentes facettes stylistiques et personnelles du poète/chanteur Dylan lui permettent de mettre en scène successivement le far west, le statut des noirs américains, la dépression, les poètes beatniks, la campagne, la ville etc... Comme Greil Marcus l'a fait dans certains de ses livres, Haynes fait de Dylan un médium justement parce que, comme je le disais plus haut, Dylan est bien un moment de l'Amérique, de son histoire, des controverses qui s'y sont déroulées.

J'observe également que de récentes fictions consacrées à des styles ou des artistes, comme 24 Hour Party People (de Winterbottom - 2002) ou Ray (de Taylor Hackford - 2004), résultent d'un travail minutieux de documentation et d'interviews. Dans ces films, les acteurs principaux se réincarnent littéralement dans la peau de leurs modèles Ian Curtis ou Ray Charles. Il me semble qu'il y a vingt-cinq ans, le travail de reconstitution n’était pas aussi central. The rose (de Mark Rydell -1979) est ainsi inspiré directement de la vie de Janis Joplin, mais sans qu’aucune chanson de la chanteuse (en tout cas pas à ma connaissance) ne soit présente dans la bande son, et avec une actrice principale (Bette Midler) qui ne cherchait pas à s'inspirer directement de Joplin.





Certains réalisateurs privilégient le style documentaire pour traiter des icônes du rock (Jim Jarmush sur Neil Young dans Year of the Horse (1997), Martin Scorsese sur les Stones (Shine a light - 2008) : quelle est, selon vous, la spécificité du documentaire ?

Bien entendu, il est impossible de résumer le style et les parti-pris des documentaires rock, il y en a trop (que je n'ai pas vus !), et depuis longtemps maintenant. Cependant, pour beaucoup de cinéastes, l'événement central du rock, c’est le concert et ce qui va avec ; la vie des musiciens, leur rapport avec les fans et tout l'environnement technique et humain des tournées. Le cinéma rock compte de grands films de cet acabit, comme par exemple le génial film de Pennebaker sur le dernier concert de Bowie en tant que Ziggy Stardust (1973), ou encore Monterey Pop (là encore de Pennebaker -1968), ou Woodstock (de Michael Wadleigh -1969). Notons au passage que ces films ne sont pas de “simples captations” (ce qui de toute façon est illusoire au cinéma). Bien au contraire ! Pour restituer des performances scéniques, on filme sous tous les angles, on met côte à côte plusieurs écrans dans Woodstock (à la façon du Napoléon d'Abel Gance -1927), on fait se succéder des fragments de chansons et différents artistes (tout du moins ceux qui consentent à être filmés), on filme les coulisses, on recourt sans arrêt au montage... En d'autres termes, on fait du cinéma. Pour l’anecdote, pour The Last Waltz (1978), film où le groupe The Band invite d'autres artistes à son dernier concert (Dylan, Clapton, Joni Mitchell etc..), Scorsese n'hésite pas à retourner des plans après le concert et à les insérer au montage. Au sujet de Scorsese et du rock, il faut d'ailleurs rappeler qu'il a travaillé au montage de Woodstock, et que plus généralement son rapport au rock mériterait une étude.

Et puisque l'on en est à parler de la façon de filmer le rock en “live", je crois qu'il faut mentionner deux points, d'ailleurs liés, que l'on retrouve tant dans les documentaires que les fictions.

- Tout d'abord, c'est le fait de filmer le public. Ailleurs, on le fait peu. Dans les films d’opéra par exemple, on ne filme pratiquement pas le public ; Bergman dans La Flûte enchantée (1975), ne filme le public qu’au début, pendant l’ouverture, au moment justement où il ne se passe rien sur la scène. C'est encore plus patent dans le Don Giovanni de Losey (1979), où la transposition de l'opéra de Mozart en fiction fait même disparaître le dispositif théâtral et donc les spectateurs. Les cinéastes (y compris les réalisateurs des émissions musicales à la télévision), comprennent bien que le feedback renvoyé par le public aux artistes est un moment essentiel du rock, et que les corps sont en mouvement sur la scène et dans la salle. Plus généralement, les cinéastes saisissent que le rock n'est pas qu'une histoire d'artistes, mais aussi quelque chose qui concerne beaucoup d'autres dimensions. C'est vrai pour tous les arts, mais dans les films rock c'est très présent.

- Toutefois, lorsqu'ils filment le public, la misogynie des cinéastes est également très patente, notamment dans les films des années soixante, soixante-dix et quatre-vingt. Les adolescentes sont “privilégiées”, montrées en train de hurler, de pleurer et présentées comme des groupies potentielles (c'est-à-dire prêtes à coucher avec leurs idoles), dans les concerts. On cantonne les femmes aux corps et aux émotions et on oublie que - pour ne prendre que l'exemple des Beatles - le public du rock est au moins autant masculin que féminin ; ainsi la caméra occulte souvent toute une partie de l'audience, et construit une représentation problématique des femmes.

Pour conclure ce développement sur le “live”, le studio, qui est l'autre grande caractéristique du rock, n’est pas non plus très présent dans les films. Après tout, inventer le rock c'est passer un temps considérable à l'enregistrer. C'est vrai qu'il y a le film de Godard, One + One / Sympathy for the Devil (1969), où l'on voit et entend les Stones composer en studio, ou encore Phantom of the paradise de Brian de Palma (1973), qui raconte comment la fabrication et l'enregistrement de la musique coïncident dans le rock. Mais, même si les scènes de studio sont présentes dans des films rock, la scène et les relations interpersonnelles attirent plus les caméras que les studios. À l'identique, les fans sont plus filmés dans les concerts que dans leurs chambres en train d'écouter au casque de la musique. Parfois, un espace rappelle pourtant l'autre, comme lorsque Joe Cocker mime la guitare à Woodstock (pendant qu'il chante la chanson “With a little help from my friends"), nous rappelant que les amateurs (trices) de rock s'initient à la guitare dans leur chambre devant une glace et avec des disques.





Pour vous, un point important sur les rapports entre rock et cinéma, ce n’est pas seulement le cinéma qui filme le rock, ou le rock qui influence le cinéma, ce n’est pas seulement la question des œuvres, c’est la question de la fabrication des œuvres. ..


Dans quel autre art que le cinéma retrouve t-on des producteurs, des gens qui sont tour-à-tour des financiers, des directeurs artistiques, des entrepreneurs créatifs ? Et dans quels arts, le processus même de fabrication de l’oeuvre consiste t-il à recourir aux machines et à l'électricité, à collaborer avec des ingénieurs dans un studio, à choisir les meilleures “prises”, à les monter et les mixer pour, in fine, mettre le tout sur des supports enregistrés ? Les deux endroits où il y a ça, ce sont le rock et le cinéma. Le modèle de fonctionnement du rock - les outils techniques, le mode d’organisation du travail, la coopération entre divers types de métiers - s'inspire de celui du cinéma. On parle des studios d’Hollywood et des studios de musique et ce n'est évidemment pas pour rien. On pourrait évidemment m'objecter que toutes les musiques recourent à l'enregistrement et que la spécificité du rock n'est pas patente. À une telle objection, je répondrais que la caractéristique du rock (pensons aux Beatles là encore), est d'avoir fait du studio un lieu de création et non pas seulement de reproduction, où l'on vient enregistrer des partitions répétées au préalable (le classique), ou des impros que l'on joue dans des conditions aussi proches que possible de celles d'une performance (le jazz). Ce point est d'autant plus important aujourd’hui que ce processus technique n'est plus réservé - comme c'était le cas à l'époque des Beatles - aux professionnels et à la seule industrie musicale. Comme nous le rappelle le développement du hip-hop et de la techno, dans un home studio tout le monde peut désormais dé-composer la musique en un processus où interviennent : accumulations (et comparaison) des prises, sampling, montages, mixages, dialogue avec d'autres et fixation finale sur un support.


En termes d’innovations techniques, pensez-vous qu’il y ait un conservatisme technique du cinéma par rapport à la musique, au rock, qui serait, lui, en avance ?

Il faudrait d’abord définir à partir de quels éléments et de quelles modalités on dit que quelque chose est « en avance » et « en retard ». Si l'on s'en tient au cinéma et que l'on compare l’inventivité technique et narrative du cinéma muet avec celle du cinéma parlant, beaucoup d’historiens du cinéma considèrent qu’il y a une régression, une sorte de standardisation, de normalisation. À l'inverse, on peut dire que le jeu des “acteurs parlants” s'est émancipé du théâtre, qu'il est devenu plus “moderne”. Tout cela pour dire justement que l'idée de modernité (donc de progression, d'avance), est devenue très problématique.
Donc, je ne dirais pas que la musique est en avance, mais plutôt que l'on pourrait s'intéresser à la façon dont la musique populaire exerce une influence sur la fabrication (les fabrications ?) du cinéma. Par exemple, depuis une vingtaine d’années, il y a de plus en plus de “monteurs musique” dans les productions cinématographiques, ce qui n’existait pas avant. Auparavant, les spécialistes du son au cinéma étaient les compositeurs (en amont du montage), les preneurs du son (pendant le tournage), et les bruiteurs et les mixeurs (au finish). On peut penser que l'essor du montage musique au cinéma peut être relié à la culture sonique, assimilée par les cinéastes et les techniciens qui ont passé leur adolescence à écouter au casque des centaines de disques de rock dans leurs chambres. De même, on peut aussi imaginer qu'à l'époque du home studio et de my space, on dispose de plus de souplesse pour innover et inventer des façons de faire qui seront exportées à l'image. Mais dans ce cas-là, répondre à votre question consisterait moins à savoir si la musique est en avance qu'à analyser les façons dont les innovations qui émergent du monde amateur (je pense en particulier au web), sont intégrées par le(s) monde(s) professionnel(s) du cinéma et de la musique.





Le film de rock véhicule traditionnellement des idées de jeunesse, de rébellion, des postures iconoclastes. Qu’en est-il actuellement, et quelle évolution pour le film rock ?

On ne s’en sortira pas non plus si l’on dit, qu’avant, le film de rock était iconoclaste alors que maintenant il est plus commercial ou réconcilié avec le “réel". Si l’on reprend A Hard Day’s Night, on trouvera effectivement ce côté iconoclaste. Le conflit des générations est sans arrêt mis en scène, les Beatles passent leur temps à se moquer des vieux (et d'eux-mêmes...), des gens du business ou de leur manager. Il y a aussi dans le film un faux grand-père de Paul McCartney, un irlandais républicain, qui insulte la royauté anglaise et les policiers et qui donne au film une tonalité un peu irrévérencieuse par rapport à la royauté. Dans la forme y compris, très proche de la nouvelle vague française, le film innove et rompt avec la façon de mettre en scène les crooners, ou Presley à Hollywood.

Mais, de nos jours, 24 Hour Party People de Michael Winterbottom, un film sur la scène new wave de Manchester à la fin des années 1970, n'est pas moins iconoclaste. Comme Richard Lester, Winterbottom agence de façon très originale les personnages réels et la fiction, les scènes de studio et de concerts, il montre les tournées sans concession à la mythologie rock, et dresse un portrait des artistes souvent sans complaisance. De plus, sa caméra a une grande intelligence des structures musicales, de la pulsation. Tout cela pour dire que l'on n’arrivera pas plus à trouver un âge d'or qu'à constater un renouveau ; il y a peut-être maintenant plus de 3000 films de rock et c'est très difficile de les ramener à des thématiques (la révolte, le refus des adultes), qui datent de l'époque où le rock était presque exclusivement une affaire de jeunes. Un sociologue qui s’appelle Fabien Hein dit que le rock n’existe pas. Je dirais qu'en un certain sens, il a raison. On ne peut pas schématiser “le rock", sous peine de le réduire. Il faut le comprendre, l'aborder dans sa diversité, comme une galaxie de styles qui compte des généalogies, des ancêtres, des révoltes, des alternatives : un monde en mouvement.


Le rock, comme musique, bande-son ou état d’esprit de ces nombreux films, était le symbole d’un clivage générationnel fort. Or, récupéré par la jeune génération aujourd’hui, le rock est-il toujours rébellion ?


À cette question je réponds que la rébellion ne se limite pas une relation entre le “rock” et le monde, ou les “jeunes" et les “vieux", elle s'exprime aussi à l’intérieur du domaine rock. Une nouvelle génération veut toujours réinventer le rock, soit en le faisant progressif parce qu’il est trop brutal, soit en faisant de nouveau du rock’n’roll parce qu’il est trop progressif, soit en le faisant synthétique parce qu’on ne veut pas faire trop de technique instrumentale… Il y a une réinvention permanente des techniques et des styles, des façons d'être. N’importe quelle activité humaine – le rock y compris – consiste à contester ce qui existe, ou une partie de ce qui existe, et à trouver d'autres solutions collectives. Il y a toujours des gens qui inventent en dehors des circuits, qui se révoltent contre ce qui existe, qui redécouvrent des disques ignorés par les autres et s'appuient sur ces répertoires pour recomposer un nouveau monde (songeons aux DJ inventant le hip-hop avec des disques vinyles anciens). Le fait de disposer facilement de cinquante ans de répertoire musical enregistré (notamment via le web) rend les ”révoltes” et les ré-inventions plus dialectiques qu'autrefois. Des jeunes passionné-e-s peuvent avoir le déclic avec les Doors, la musique de leurs... parents ! Nombre de playlists échangées sur le net ou entre ami-e-s comprennent un Daft Punk, un Manu Chao, la chanson française du moment, un Madonna, un peu de techno, parfois un standard de jazz…

De plus, ces ré-inventions ne concernent pas seulement des styles musicaux, mais aussi l’environnement spatial et les outils : les hip-hoppeurs n’ont pas besoin de scènes de rock exactement comme les rockeurs et les raves de techno se font souvent en pleine campagne, les Dj mixent avec des platines plutôt que de jouer de la guitare électrique, etc... En bref, chaque courant musical a ses propres controverses et ses débats, ce qui in fine signifie que même une génération se divise, se rebelle contre d'autres de ses contemporains. Il y a donc bien des rébellions, mais il faut savoir ouvrir l'objectif et ne pas croire que le fait de ne pas refaire comme ceux d'avant signifie que l'on a baissé pavillon.





Que pensez-vous de l'esthétique spécifique du clip de rock ? Le clip n'est-il pas le genre par excellence pour promouvoir cette musique ?

Ce sont (peut-être) les Beatles qui ont été les pionniers dans ce domaine avec Rain (1966), clip d'un single réalisé pour suppléer le fait qu’ils ne faisaient plus de concert (je crois que ce point est narré dans le DVD Anthology). Mais évidemment, le clip est lié à l’essor de la télévision et à la montée de la chaîne MTV au début des années 1980. Au passage, on notera qu'un des promoteurs de ce format n'est autre que Michael Nesmith (un des membres des Monkees), qui a fondé au milieu des années soixante-dix la société Pacific Arts Corporation.

La particularité du clip c’est son format court, qui permet une grande liberté formelle. On croit souvent que les contraintes restreignent les artistes et les techniciens, mais l'inverse est souvent également vrai. Il suffit de regarder les clips des années 80 - par exemple ceux du groupe XTC - pour constater combien ce format a aussi été un laboratoire de création visuelle et d'humour. Interface entre la musique et l'auditeur, le clip est riche de sens. Comme les pochettes de disques, il constitue une sorte de marque, que l'on associe non seulement avec les mots ou les notes d'une musique mais aussi avec des moments de notre propre existence, et même avec une époque. Actuellement, avec le développement du web (où l'image et le son s'entremêlent constamment), et encore plus avec les plate-formes type YouTube, un nouveau pallier me semble avoir été franchi. Désormais, ce sont les internautes eux-mêmes qui créent leurs propres clips en ajoutant leur propre montage d’images sur une musique qu’ils aiment, devenant les cinéastes de leurs émotions. Il suffit de regarder les commentaires que font les autres fans d'un même groupe dans Youtube pour saisir combien cette mise en forme peut être partagée par d'autres.





Pour finir sur l’esthétisme, le rock au cinéma est aussi, pour vous, un certain vocabulaire du corps.

Le corps en mouvement, celui des musiciens et des musiciennes, celui du public des concerts, des raves ou des battles hip hop, celui des amateurs qui dansent dans leur chambre au son des disques est une composante essentielle du rock et de la culture populaire. Au cinéma, un des exemples paradigmatiques de cette importance du corps est Saturday Night Fever (de John Badham - 1977), un film qui raconte comment des amateurs de danse se réalisent, s'expriment, voire se confrontent en musique avec leur corps. C'est aussi cette réinvention perpétuelle de la soma par la culture populaire que le cinéma - l'art de filmer des corps - nous permet d'entendre et de contempler.


Propos recueillis par Marie Corberand et Olivia Dallemagne




Pistes de lectures :

Eduardo Guillot, "Rock et ciné" (Traduit de l’espagnol par Martine Monleau) - Éditions La Mascara France Paris 2000
Alain Lacombe, "L'écran du rock, 30 ans de cinéma et de rock music" Éditions Pierre l'Herminier Paris 1985
François Ribac (sous la direction de) “Rock et cinéma“ numéro hors-série de Volume ! Éditions Mélanie Séteun Clermont Ferrand Juin 2004

lundi, février 23, 2009

... à la cour bretonne

Les 5 et 6 mars, j'anime un stage intitulé “Introduction aux musiques populaires (rock, hip hop, techno...)” pour l'ADDM 22, stage qui se déroule à Ploufran, près de Saint-Brieuc dans les côtes d'Armor. En voici la présentation et les modalités :

Public : Directeurs et enseignants des établissements
d’enseignement de la musique, responsables de lieux de diffusion.

Description :
Accompagner la pratique collective : cette formation a pour objectif de mieux comprendre l’histoire et la spécificité des musiques populaires en prêtant autant d’intérêt aux styles musicaux qu’à ceux (et celles) qui
les aiment. La formation comprend des exposés,
de nombreux extraits musicaux et filmés, une demi-journée de travail en atelier et des débats.

Les origines et les techniques du rock :
De Newton aux Beatles.
Apprentissages et transmissions

Un panorama des grands styles musicaux :
Folk, rock, hip hop, techno et leurs -nombreux- hybrides.
Ateliers d’écoute : comment analyser et décrire la musique populaire ? Travail en petits groupes à partir d’enregistrements et restitutions en « live ».
Pour toute info c'est ici

vendredi, février 06, 2009

Du jardin nordiste...

Du 16 au 19 février 2009, je dispense un cours sur la sociologie de la musique pour le ”master Arts et Spectacles” de L'université Catholique de Lille. Le cours sera notamment consacré à la place (et aux usages) des supports enregistrés dans la musique et à la digitalisation. Par ailleurs, un concert du groupe Crystal Antlers à l'Aéronef le 19 février servira de terrain pour une petite initiation à l'ethnographie.