Depuis septembre 2016, je dirige un nouveau projet de recherche intitulé Engager
la sphère culturelle dans la transition socio-écologique/Arts de la scène et musique à l'âge de l'anthropocène.
L'étude implique une équipe de recherche de trois pays (France, Grande Bretagne, Allemagne) que l'on peut retrouver ICI.
Avant de présenter prochainement les premiers résultats de nos recherches et nos initiatives, voici ci-dessous la présentation et le déroulé de l'étude :
Engager
la sphère culturelle dans la transition socio-écologique/Arts de la scène et musique à l'âge de l'anthropocène
I
Problématique
1
Anthropocène
Pour nombre de
géologues, de climatologues, de philosophes, d'historien-nes, de
sociologues, d'écologistes, d'ONG(s), notre planète est désormais
entrée dans l'ère de l'anthropocène. Quelles que soient les
discussions pour situer les débuts de cette séquence, l'idée
commune est que les activités humaines ont désormais un impact
déterminant sur l'écosystème terrestre. Le recours massif aux
énergies fossiles provoque le réchauffement de la planète et ses
conséquences, la disparition rapide et croissante d'un nombre
considérable d'espèces végétales et animales, la fonte des
glaciers et de la banquise, l'élévation du niveau de la mer, des
épisodes climatiques extrêmes, la pollution. Ces phénomènes ne
perturbent pas seulement l'écosystème mais aussi les activités
humaines provoquant des migrations forcées, la paupérisation de
territoires et à terme des bouleversements majeurs. Au moment où
l'humanité devient une puissance géologique, la question de la
survie de l'espèce humaine se pose en retour. Situation résumée en
ces termes par Clive Hamilton :
“Nous
découvrons aujourd'hui que la croyance grisante en notre capacité à
tout conquérir se heurte à une force plus grande, celle de la
terre elle même”
Pour décrire ce
renversement de perspective, la philosophe Isabelle Stengers parle de
la revanche de Gaïa
un concept originellement forgé par James Lovelock.
Dans la mythologie grecque, la matrice Gaïa a engendré la terre et
ses monstres tels les titans et les cyclopes. Outragée et humiliée
par Uranus, son frère et le père de ses enfants, elle ordonne alors
à Chronos, l'un de ses fils, de la venger. Celui-ci émascule
Uranus. Le récit mythologique suggère que si l'on violente par trop
l'écosystème Terre, celui-ci réagit alors de façon convulsive.
Pour Lovelock, chaque composante de Gaïa (la stratosphère qui
filtre les rayons du soleil, les nuages, le cycle du carbone, le
cycle de l'eau, les océans, le plancton etc.) interagit avec les
autres de façon à maintenir à flot l'écosystème et corriger ses
éventuels dysfonctionnements. Perturber cet équilibre amène à de
violent spasmes. De fait, l'ère de l'anthropocène implique qu'il
nous faut établir un nouveau pacte avec la Terre, (r)établir un
nouvel équilibre entre nous mêmes et Gaïa.
2 Une certaine façon
de concevoir et gérer le monde ; la modernité
Pour
effectuer cette mue, il nous faut probablement mettre en question, ou
tout au moins reconsidérer, la modernité. Celle-ci prend
notamment sa source dans l'Europe occidentale du 17e siècle au
moment où la Révolution Scientifique -que l'on appelle aussi les
Lumières- s'impose.
Pour
en prendre la mesure, considérons par exemple la Nouvelle
Atlantide de l'anglais Francis
Bacon (1561-1626)
l'un des récits fondateurs de ce régime de savoir(s) et de
gestion du monde : égaré
dans l'océan, un groupe de navigateurs aborde un île où règne
l'harmonie, la paix et la prospérité. Là, les savants ont vaincu
les maladies, font fructifier dans de vastes serres toutes sortes de
plantes et de cultures et disposent de machines puissantes afin
d'assurer la plupart des tâches. Grâce à leur sagesse, leurs
machines et leurs technologies, les savants permettent à l'humanité
de vaincre les fléaux naturels et sociaux qui ravagent
d'ordinaire la société. Pour ce faire, ils contrôlent et disposent
de la nature. On est ici au cœur de
la cosmogonie moderne et
du projet scientifique qui lui est associé ; capable de décrire et
de modéliser (les lois de) la nature et de la dominer, l'humanité
peut bénéficier du progrès, condition sine qua non pour
que prospèrent le bonheur et la paix. On connait la suite, la
mécanisation, les cités industrielles, la conquête du monde, la
croissance économique continue conçue comme moteur essentiel du
bien être humain, l'essor du capitalisme. Selon Bruno Latour,
le tour de force de cette vision du monde a été de nous donner à
penser -et croire- que le progrès était tout à la fois une loi
naturelle, inscrite dans la logique même de la matière et du temps,
et un impératif social.
3 Changer de
paradigme anthropologique ?
Dans
leur livre L'évènement Anthropocène Christophe Bonneuil et
Jean-Baptiste Fressoz
contestent l'idée que l'on aurait découvert récemment les
dommages engendrés par les activités humaines.
En
réalité, les (p)artisans de la modernité savaient et
même théorisaient,
et depuis belle lurette, que la croissance continue des
forces de production affectait la “nature”. En effet, si la
nature a bien été présentée par les Lumières comme la source de
toute connaissance, elle a aussi été pensée comme une entité
radicalement séparée de l'espèce humaine que l'on pouvait
et devait dominer.
Ce faisant, cette différenciation a permis d'utiliser sans limites
ses ressources et même de coloniser les territoires et les peuples
que l'on décrivait comme naturels. Dans cette perspective, civiliser
le monde, l'arracher à la dépendance vis-à-vis de la nature, était
non seulement un droit mais aussi un processus historique
inéluctable. De fait, les dommages de la société industrielle sont
depuis longtemps patents. Dès le 19e siècle, nombre de métropoles
européennes comme Londres ou Paris étaient déjà noires du smog et
de la suie que les machines à vapeur et les usines crachaient dans
l'atmosphère, tandis que les populations, et en particulier le monde
ouvrier, étaient décimées par les maladies liées à la pollution
et au manque d'hygiène.
Nous découvrons moins aujourd'hui les conséquences de l'activité
industrielle intensive et de l'utilisation intensive des énergies
fossiles que le fait que leur dangerosité atteint une échelle qui
menace notre maintien sur la terre.
Face
à cette situation, les pressions de l'opinion internationale, des
ONG et les travaux du GIEC ont amené l'ONU à réunir des
conférences internationales chargées de réduire drastiquement
l'usage des énergies fossiles et de limiter l'effet de serre.
Toutefois, si la transition vers une nouvelle humanitude
nécessite bien, et urgemment, de changer de types d'énergies, de
réorienter la production industrielle et agricole, de limiter et
recycler des déchets, de rééquilibrer les échanges nord-sud, tout
cela ne saurait suffire. Ce processus de transformation nécessite
également d'opérer une profonde transformation des modes de
gouvernance et de décision, d'inventer de nouvelles formes
d'investissement des usagers dans la décision publique, d'insérer
les profanes dans les décisions touchant à la science et aux
technologies,
de gérer autrement nos espaces communs ; les territoires où nous
circulons physiquement comme le monde numérisé que les
infrastructures d'Internet et les ondes supportent.
En
résumé, si la “nature” s'assèche et se rebelle c'est tout
autant le support matériel des sociétés industrielles qui se
craquelle que la cosmogonie qui soutient ce régime de connaissance
et d'actions. Il ne s'agit pas simplement de mieux contrôler les
inventions des savants de l'Atlantide, d'en démocratiser la
gouvernance ou même de protéger l'écosystème de l'île mais aussi
de refonder les objectifs de la communauté humaine et en particulier
notre relation avec les (ceux que nous considérons comme)
non-humains : animaux, végétation, océans, cosmos, éléments,
écosystème, machines, techniques.
Tous ces titans que Gaïa retourne aveuglément contre nous.
S'atteler à un tel chantier consiste notamment à prêter attention
à des sphères sociales qui, précisément, ont partie liée avec la
cosmogonie moderne et par là concourent aux récits
et
aux pratiques qui
lui donnent corps. C'est à ce prix que l'on pourra apaiser au mieux
la colère de Gaïa
4
L'art
a) Art = modernité
Justement,
l'un des registres essentiel qui accompagne et incarne l'essor de la
modernité s'exprime dans l'art. Les activités que l'on
désigne ainsi émergent à la Renaissance dans l'Europe Occidentale
et se déclinent de bien des manières : la commedia dell'arte (le
théâtre des professionnels) qui nait au milieu du 16e siècle en
Italie, le fait de signer les manuscrits, les partitions, les
tableaux, la rédaction d'histoires des arts et des artistes et
corrélativement l'apparition de spécialistes qui se consacrent à
ces tâches... Signe de l'émergence de cette
nouvelle sphère, dès la fin du 18e siècle les métropoles
européennes comprennent des quartiers dédiés aux spectacles, tels
le boulevard du Crime à Paris (célébré dans les Enfants
du Paradis de Carné et Prévert
-1945-) ou un peu plus tard le West End londonien.
Là, la foule des spectateurs vient chaque soir découvrir les
nouveautés,
les actrices dont on parle, les toutes dernières attractions, les
artifices techniques, les vocabulaires inédits, les fictions et les
spectacles qui figurent la nouvelle société.
Mais c'est véritablement au 19e siècle, au moment même où
l'ordre bourgeois et le capitalisme triomphent, que l'espace public
et son corollaire, le marché, s'imposent en Europe : l'art devient
alors une composante essentielle de la vie sociale. Les artistes,
leurs disciplines et leurs œuvres prennent véritablement leur place
dans des espaces, des dispositifs de diffusion, d'évaluation et des
métiers spécifiques ; les salles de concerts, les théâtres, les
musées (qui conservent la trace du passé irrémédiablement détruit
par la flèche du temps), les galeries, les éditeurs (de texte ou de
musique), les managers, les impressarii, la presse, les critiques,
les historiens de l'art et de la musique.
b) L'essor de
marchés et de nouvelles technologies
L'ascension
de certains artistes est notamment liée à des innovations, voire
des prouesses, technologiques et aux réseaux de distribution et de
consommation qui les accompagnent :
Le
piano ? Autant un instrument qui donne corps à la musique de
Beethoven et Chopin qu'une innovation technologique dont la puissance
sonore et l'étendue du clavier permettent tout autant de remplir de
grandes salles de concerts que de jouer à la maison les “réductions”
des symphonies romantiques. Un piano qui soutient le développement
d'éditions musicales et de fabricants d'instruments, promus par des
virtuoses en tournée comme Liszt, de circuits et de salles de
concerts, d'agents, d'ouvrages spécialisés, d'une presse musicale.
Les
romans de Balzac ? Des histoires distillées chaque semaine dans
la presse (la TV du 19e siècle) sous forme de feuilletons que l'on
étire le plus possible puis que l'on édite in fine pour
maximaliser les profits. Là
encore, tout cela implique des éditeurs de journaux et de livres, de
la publicité, des imprimeries, la fabrique et la livraison de papier
etc.
En
définitive, la naissance de l'art coïncide avec le moment où,
comme dans toutes les autres sphères de la société, on différencie
les professionnels et les amateurs et où l'on sépare matériellement
et symboliquement le travail intellectuel et le travail manuel. Dès
le 19e siècle, l'exploitation, l'organisation du travail, la
diffusion, la promotion et des spectacles posent les bases
matérielles et organisationnelles de l'industrie culturelle.
La valeur de
l'art est
donc tout aussi bien liée aux qualités propres qu'on lui attribue
(la qualité artistique) qu'à son prix sur le marché des biens
culturels.
C'est bien à l'intérieur de ce processus que l'art est théorisé
et représenté comme une sphère idéelle peuplé d'êtres
d'exception (voire de génies) qui créent des œuvres à nulle autre
pareille (originales), des artistes désintéressés et déconnectées
de la marchandisation.
De ce point de vue, la doctrine de l'art pour l'art et les
représentations qui l'accompagnent (par exemple la bohème
parisienne) expriment bien plutôt une forme de résistance que
“l'essence” de l'art.
c)
L'injonction au progrès
À
la façon des botanistes qui regardent les racines d'une plante pour
mieux la comprendre et en déterminer l'espèce, les théoriciens de
l'art n'ont cessé de souligner la radicalité
des œuvres et des artistes qu'ils aiment. Dans ce mode de
compréhension, un grand artiste (la plupart du temps un homme),
remet en cause l'ordonnancement des choses et ouvre un nouveau monde.
Comment ? En réinventant des formes et des langages, de
nouvelles techniques, qui
donnent à voir et/ou à écouter différemment la sensibilité
humaine et l'univers. Ce faisant, les histoires de l'art accordent
une place centrale aux individus (là encore surtout des hommes) et
décrivent les différents mouvements comme autant de révolutions et
de ruptures : Schönberg rompt avec la tonalité, Kandinski fait
basculer la peinture dans l'abstraction, les Beatles font de la
musique populaire un art, Artaud et Bob Wilson bouleversent le
théâtre, Orson Welles impose les auteurs à Hollywood etc. Même
ceux qui contestent les révolutions esthétiques (“les
réactionnaires” disent les radicaux) acceptent la banalité de
base de la modernité à savoir que les révolutions font
nécessairement disparaître ce qui a précédé. Ils ne font donc
qu'inverser le raisonnement.
Pour toutes les raisons qui viennent d'être évoquées, l'art
constitue l'un des récits essentiels de la cosmogonie moderne, un
des médiums par lequel la Nouvelle Atlantide
est non seulement réécrite sous différentes formes mais aussi
pratiquée et entretenue.
d)
Aujourd'hui
En
ce début de 21e siècle, l'évaluation par les usagers, les amateurs
et les professionnels des productions artistiques est toujours
fortement marquée par les critères et la sensibilité modernes.
Ainsi,
dans nos façons d'acquérir, de goûter, d'apprécier une œuvre ce
registre est omniprésent : « s'agit-il de quelque chose de
nouveau, qu'est-ce que cela apporte au domaine où cela s'inscrit »
? S'il est vrai que la familiarité avec un vocabulaire conforte
fréquemment le jugement esthétique, autrement dit qu'on aime
souvent des choses qui ressemblent à ce que l'on aimait déjà, il
est non moins exact que l'on porte également attention à des choses
à cause de leur étrangeté. En d'autres mots, il n'est pas
rare que nous adhérions à une proposition artistique précisément
parce qu'elle semble différer de tout ce que nous connaissions.
Ces
mêmes types de critères sont bien entendu mobilisés par les
professionnels du spectacle et de la musique. Face à une proposition
artistique, les programmateurs d'une salle de spectacle s'interrogent
pareillement : « qu'est-ce que ce spectacle renouvelle ?
Qu'est-ce qui est singulier là-dedans ? ». Même
lorsque l'élément clé d'une production est lié à une tradition
(par exemple un opéra du 19e siècle) un ou plusieurs autres
éléments doivent renouveler l'interprétation (la mise en scène,
le décor), transposer l'œuvre, réinventer sa traduction scénique
etc. On sait que la critique théâtrale, littéraire, musicale
professionnelle ou amateure- manie constamment cette rhétorique et
juge en grande partie les productions en fonction de leur capacité à
proposer du neuf.
Le
registre de la découverte (qui
lui aussi provient de la Révolution Scientifique)
est également très présent dans les milieux professionnels
; nombre de responsables de festivals considèrent que leur mission
consiste à présenter des spectacles et des artistes provenant de
régions éloignés du monde, ou encore des artistes trop injustement
oubliés, ou bien encore à rendre accessible des niches spécifiques.
Le terme d'émergence, également très présent dans les
discours des programmateurs, des institutions publiques et des
firmes, découle lui aussi de l'impératif de dégotter de jeunes
artistes qui rebattront les cartes.
e)
La prégnance des technologies
D'une
façon voisine à l'intérêt pour l'émergence, l'essor rapide dans
nombre de salles de spectacles des arts numériques,
où les technologies du même nom ont la part belle, atteste là
encore de ce souci de remodeler sans cesse les expériences et les
vocabulaires. Ce registre est également sensible dans le monde
muséal qui, du CD Rom du Louvre à la visite virtuelle en ligne des
musées, a très tôt mobilisé les outils numériques pour présenter
des expositions ou des lieux patrimoniaux et accompagner les
visiteurs. À ces différents endroits, c'est la technologie
(le “numérique”) et ses usages innovants qui soutiennent
l'impératif de renouvellement.
D'une
façon générale, les arts de la scène et la musique sont truffés
de technologies et d'objets techniques tant du côté des scènes et
des professionnels (projecteurs, consoles sons, systèmes
d'amplification, décors fabriqués avec des matières synthétiques,
instruments etc.) que des consommateurs (disques, ordinateurs,
disques durs).
Or, comme dans d'autres sphères sociales, nombre de ces objets et
technologies sont souvent polluants, non recyclables, à
l'obsolescence programmée, contiennent des produits dangereux,
fabriqués à l'autre bout du monde et dans des conditions sociales
déplorables.
Comme les professionnels et les spectateurs, nombre de ces objets
circulent dans des circuits longs dont le coût carbone est
considérable, utilisent des produits importés qu'ils (elles)
pourraient peut-être trouver près de chez eux, sans parler de la
prégnance des marques.
Que l'on pense par exemple aux artistes en tournée, aux
programmations sans cesse renouvelées et constituées d'artistes non
locaux, aux spectateurs se rendant à des festivals loin de chez eux,
aux outils de stockage informatiques etc. On le voit, en
matière d'art et de culture, la modernité n'est donc pas qu'un
concept ou une injonction esthétique, ou même une composante
essentielle de notre sensibilité, c'est un fait social qui structure
fortement l'offre et les attentes des consommateurs/trices.
Il
ne s'agit pas ici de réprouver le fait de programmer un artiste venu
de l'autre bout de la terre, d'écouter de la musique en streaming,
de construire des décors, d'acquérir des équipements techniques
performants mais simplement de noter que
le
monde artistique n'échappe pas aux questionnements qui se posent à
nos sociétés à l'heure de l'anthropocène. Or,
si l'on se place dans la perspective d'une transformation
significative et volontariste de ces sociétés, s'il faut réfléchir
à la façon dont les arts pourraient (devraient ?) aborder une
transformation socio-écologique, le paradigme moderne doit
probablement être interrogé. Pas nécessairement pour l'anéantir
mais pour le reconsidérer à l'aune des urgences qui sont les
nôtres. On reviendra plus loin et en détail sur la compatibilité
(ou pas) entre les normes des mondes de l'art et les exigences d'un
monde soutenable.
5
Les amateurs
On vient d'évoquer les sphères professionnelles de la production,
de la diffusion et de la consommation de spectacles et de musique
enregistrée. Ces mondes se caractérisent également par la place
significative qu'y occupent les amateurs et notamment du côté des
innovations. Pour n'en rester qu'à la musique, on doit se rappeler
que des mouvements (musicaux) aussi divers que le rock, le hip hop,
la musique électro ou le mouvement de redécouverte de la musique
baroque dans les années 70-80 émanaient principalement du champ
amateur.
Comme on le sait ces divers mouvements n'ont pas seulement engagé
des interprétations, des artistes, des œuvres, des réseaux, des
firmes mais ont également contribué à reconfigurer les
sociabilités, l'espace commun et l'économie toute entière de la
musique.
a)
Rock
Ainsi, la génération des Beatles, née dans les années quarante, a
appris à pratiquer un instrument et écrire des chansons en copiant
des disques à la maison et en passant des heures à répéter dans
le cadres de groupes de rock constitués d'amis. Ces passionnés se
sont donc éduqués grâce aux disques de rock'n'roll américains,
aux platines disques bon marché qu'ils utilisaient dans leur chambre
et via un apprentissage interactionnel avec leurs pairs. On a là un
bon exemple d'une forme d'acculturation qui utilise des produits et
des objets de consommation culturels pour inventer de nouvelles
formes (devenues courantes) de socialisation. Une acculturation qui
-le détail est important- a détourné quelque peu le
tourne-disque de son usage prescrit (écouter de la musique) pour en
faire un instructeur. Une forme d'apprentissage qui initie également
des centaines de milliers d'auditeurs à l'écoute analytique de la
musique enregistrée et a soutenu une transformation notable de la
façon de produire de la musique dans des studios.
En bref, une série d'innovations sociales.
b)
Hip hop
Prenons un autre exemple. Une dizaine d'années après que la
génération des Beatles ait fait irruption, le hip hop nait dans le
South Bronx, un quartier déshérité de New York.
Si l'on s'intéresse à la branche musicale de ce mouvement, on peut
remarquer que là encore ce sont des amateurs qui ont commencé à
utiliser des platine-disques d'une façon inusitée. Certainement
inspirés par les Disk Jokeys qui passaient des disques dans les
soirées de danse et/ou à la radio et animaient avec verve leurs
sets, certains adolescents commencèrent à fabriquer des
rythmiques continues (break beats) en répétant en boucle des
séquences (le plus souvent) instrumentales qu'ils avaient repérées
sur des vinyles. À condition de travailler des heures avant de
l'enchaîner sans latence, l'enchaînement devient parfait et la
pulsation continue. Rapidement, on prit également l'habitude de
scratcher les vinyles, c'est-à-dire de produire des sons
grâce à leur manipulation avec les mains, tandis que des Maitres de
Cérémonie (terme emprunté au spectacles de Vaudeville),
c'est-à-dire les rappeurs, scandaient des textes sur ces rythmiques.
Comme les adolescents britanniques de la fin des fifties, le rap a
donc détourné des objets de consommation culturelle (la platine
disque et le vinyle) et les a reconfiguré. Comme on le sait, les DJ
occupent désormais une place aussi significative que les guitaristes
électriques et les vocalistes (c'est dire !) dans la pratique
musicale et l'imaginaire commun et le hip hop est devenu une
composante essentielle de la culture populaire.
Là encore, des amateurs ont posé les bases -esthétiques,
matérielles- d'un nouveau monde et de nouvelles sociabilités.
On pourrait encore donner bien des exemples qui attestent de cette
place des amateurs, par l'exemple la façon dont certains musiciens
classiques ont redécouvert au 20e siècle le répertoire baroque des
17 et 18e siècles. Grâce aux traités d'interprétation et aux
illustrations trouvés dans des bibliothèques, ils/elles ont
construit leurs instruments, organisé des stages et tout cela
bénévolement.
On pourrait aussi parler d'un jeune plasticien, Bob Wilson,
qui grâce à sa fréquentation de jeunes autistes invente un nouveau
théâtre ou encore des pionniers des “arts de la rue” qui
réinventent l'espace commun et une autre façon de produire le
théâtre, l'espace et l'intérêt public.
c)
Un rapport nuancé à l'injonction moderne
Au-delà de leurs dissemblances (bien réelles), les exemples Beatles
et hip hop ont néanmoins plusieurs points communs.
En premier lieu, ils proviennent de la sphère amateur, ou au moins,
comme c'est le cas du mouvement baroqueux des années 70, sont
initiés à l'écart des sphères professionnelles. Les nouvelles
compétences qu'ils forgent viennent précisément de leur écart. En
outre, nombre de leurs innovations proviennent d'expérimentations
conduites dans la sphère domestique et ne sont pas
nécessairement pensées comme innovantes où moment où elles
débutent.
Deuxièmement, les
pratiques des générations Beatles et rap nous montrent comment des
objets de consommation changent de destination.
Si on se
rappelle qu'au moment où le rap a émergé comme phénomène social
d'ampleur, le milieu des années 80, la fin du vinyle et le passage
au CD étaient déjà planifiés et encouragés par les pouvoirs
publics et l'industrie musicale (et avec quelles conséquences
funestes pour cette dernière !), on comprend que ce mouvement a
d'une certaine façon esquivé l'injonction moderniste du passage
obligé au numérique, synonyme de progrès et de qualité sonore. Au
contraire, le rap a fait des répertoires antérieurs (et tout
particulièrement la soul) et d'un outil condamné à la disparition,
les matières premières de sa créativité. De ce point de vue, on
peut donc considérer le hip hop sous un angle a moderne
plutôt que comme une nouvelle révolution.
Le troisième point est la dimension collective de ces
innovations. Si les Beatles sont bien des individus (et sans
aucun doute dotés d'un talent fou) leurs formes d'apprentissage et
de sociabilité étaient partagées par des milliers d'autres
adolescent-es britanniques et nul ne sait qui a commencé à copier
des 45 tours de Chuck Berry dans sa chambre, à connecter le
haut-parleur de la radio parentale à sa guitare électrique et à
monter un groupe avec les copains du lycée.
Il y a même tout lieu de penser que ces façons de faire ont
commencé dès la commercialisation du phonographe et le
développement de la radio.
Une fois encore, là où on voit une révolution esthétique et des
génies, la source des nouveaux savoirs et des innovations est au
moins autant sociale, collective.
Enfin, et ce point est connexe du précédent, tous les mouvements
cités ici ont contribué à réinventer l'espace commun, non
seulement parce qu'ils ont proposé de nouveaux espaces de
performances et de rencontres mais aussi car ils ont produit un
public, ils ont donné naissance à de nouvelles façons d'être
ensemble, à de nouvelles communautés. Pour prendre la mesure de ces
transformations, il suffit de rappeler les métamorphoses de l'espace
urbain induites par la danse hip hop, les raves parties, ou encore
les bien nommés arts de la rue.
On le voit, on est donc en présence de formes de mutualisation,
d'apprentissage, de savoirs qui constituent autant de formes
d'innovations sociales et d'intelligence collective.
Pour peu que l'on se départisse d'un regard moderniste, la naissance
et l'essor de ces mondes (dont la plupart sont encore vivants) nous
indiquent possiblement des façons de faire autre chose
d'objets et de répertoires existants (recyclage et réinvention), de
s'approprier des outils et des technologies produites par
l'industrie, de s'initier et de faire circuler des savoirs et des
compétences (dont nombre sont tacites), de reconfigurer le public et
ses espaces communs et tout cela dans des cadres originellement peu,
voire même pas du tout, marchands.
Peut-on repérer des pratiques actuelles où
se manifesterait cette a modernité ?
Certainement. On pense par exemple au goût pour le vintage
et les outils analogiques d'amplification et d'enregistrement qui
semble de plus en plus prégnant dans les pratiques musicales
amateurs et professionnelles, dans les musiques populaires comme du
côté des classiques et des jazzistes. On peut également évoquer
les tribute bands, des
formations (amateures et professionnelles) qui interprètent des
répertoires de groupes de rock disparus (Beatles, Led Zeppelin, Pink
Floyd ou Genesis) ou encore les groupes qui jouent des reprises
puisées dans le répertoire existant des musiques populaires.
Autant de façons qui semblent -du côté de outils et/ou des
répertoires- faire fi de l'injonction moderne de renouvellement
constant.
Ces pratiques seraient d'autant plus
intéressantes à investiguer qu'à l'heure du Web elles impliquent
très certainement des formes de communication, de mutualisation
d'informations, d'usages d'outils techniques singuliers, de recours à
des logiciels libres, d'appropriations originales qui, le cas
échéant, pourraient peut-être donner matière à modélisation, à
transcriptions, à réflexions pour et dans d'autres sphères
sociales. L'autre façon de résumer ce point consisterait finalement
à dire qu'il s'agit à cet endroit de repérer des formes
culturelles d'empowerment.
Empowerment non pas seulement lié à la prise de parole d'un
groupe dans l'espace public mais se traduisant également par des
formes d'appropriation et de mutualisation de techniques et de
technologie, par le fait de forger de nouveaux vocabulaires, en bref
de la culture !
II
Description de l'étude et de ses terrains
Le projet de recherche se décline en trois axes principaux :
-
Tout d'abord, contribuer à un état des lieux des problèmes
spécifiques aux arts de la scène et de la musique, recenser des
pratiques innovantes déjà menées, par des professionnels et des
amateurs- dans la perspective d'une transformation socio-écologique
-
Ensuite, examiner comment les mondes artistiques pourraient, d'une
part, importer des thématiques et des pratiques soutenables
expérimentées dans d'autres sphères et,
d'autre part, élaborer des solutions innovantes et soutenables.
-
Enfin, documenter des savoirs et des
formes d'organisation sociales issus de la sphère culturelle
afin d'examiner si elles pourraient être exportées dans d'autres
terrains (culturels ou pas)
L'enquête comprendrait tout à la fois
-
Des
groupes de travail comprenant des professionnel-l-e-s et des
chercheur-es se réunissant et produisant des diagnostics et des
recommandations
-
La
conduite d'études de cas
-
Un séminaire de recherche et de
confrontations
-
Une conférence de consensus et un colloque
international
-
La publication des résultats et des travaux
La durée totale de l'enquête et des actions
concertées serait de 36 mois.
1
Recenser l'existant : des groupes de travail
Si les initiatives semblent foisonnantes, en particulier du côté
des festivals musicaux, il n'existe pas à notre connaissance de
bases de données régionales et/ou nationales recensant les “bonnes
pratiques” dans les arts de la scène et la musique. Par “bonnes
pratiques”, on entend ici des initiatives visant à limiter les
rejets de gaz à effet de serre et le coût carbone (circuits courts,
transports mutualisés, restauration biologique) et à recycler les
déchets produits lors des spectacles (par exemple les restes de
repas et les emballages lors des festivals) comme ceux produits lors
de la conception des spectacles (des cordes de guitares usagées aux
décors construits par des opéras) ou de festivals.
En outre, il semblerait également intéressant de dresser un
inventaire des initiatives visant à mutualiser des compétences
et des outils : fabricants et concepteurs échangeant des décors
usagés, entreprises proposant des substituts aux produits chimiques
utilisés pour la construction de scénographies, association de
luthiers utilisant des bois non traités et importés légalement,
réparateurs de matériel électronique (jugé) obsolète, ressources
en ligne, ouvrages de référence, encouragements institutionnels
etc. Certains collectifs sont d'ores et déjà à l'ouvrage et ils
pourraient justement contribuer à nourrir ce répertoire.
Trois groupes de travail
pourraient être constitués : deux groupes issus de territoires
spécifiques et un groupe national. Ils fixeraient leur propre agenda
et leurs priorités (recyclage, démocratie participative,
mutualisations, transmission etc.) en concertation avec l'équipe de
recherche. Ces groupes seraient constitués de professionnel-l-e-s,
d'acteurs culturels institutionnels, d'artistes et d'organisations
exerçant dans divers types de dispositifs (de la salle de rock
subventionnée à l'opéra en passant par le festival d'arts de la
rue). Le fait de fédérer des personnes travaillant à des postes
variés (gestionnaires de tournées, responsables artistiques,
techniciens, administratifs, artistes) et
opérant sur des
terrains différents permettrait tout à la fois de couvrir un large
spectre et -on l'espère !- de faire surgir des convergences. Ces
groupes seraient composés à parité de femmes et d'hommes.
Dans un premier temps, un recensement serait effectué par l'équipe
de recherche sur la toile et par le biais de rencontres avec des
structures fédérant des professionnels et/ou dédiées à la
ressource, notamment du côté des initiatives liées à l'Agenda 21.
Dans un deuxième temps, les
groupes de travail
listeraient les
problèmes auxquels ils et elles sont confronté-es et les solutions
qu'ils et elles y apportent ou dont ils/elles ont connaissance. Des
cahiers numériques de doléance seraient élaborés et mis en ligne.
2)
Études de terrain
On a vu un peu plus haut avec des exemples historiques comment en
s'échappant des schémas de lecture “modernistes” (au sens d'une
suite continue de révolutions) on pouvait repérer des dynamiques
intéressantes (et souvent négligées) dans la sphère culturelle.
De fait, des pratiques actuelles mériteraient d'être étudiées en
s'intéressant là aussi à leurs apprentissages, à leurs usages de
l'existant (les objets, les techniques, les espaces, les relations
sociales), aux formes d'innovation et de continuité que l'on
peut y déceler, aux relations qu'y se tissent entre le local
(entendu ici tant comme l'endroit où l'on vit que comme des
pratiques individuelles) et le marché, à la façon dont ces mondes
circulent, s'étendent et trouvent leur(s) public(s). Par ailleurs,
il semble également pertinent de se pencher sur des phénomènes
révolus afin de comprendre et d'interpréter différemment la
création et le développement de mouvements culturels.
Pour cela, nous proposons de mener plusieurs études de cas
touchant des
Ces études seraient également menées dans des territoires situés
en France, sur la toile et dans deux villes (ou travaillent des
équipes partenaires) Berlin (Allemagne) et Edinburgh
(Grande-Bretagne). Le fait de procéder à des enquêtes à diverses
époques, dans des territoires différents et dans deux autres pays
permettrait d'appréhender ces phénomènes de façon panoramique et
de pouvoir comparer des trajets, des formes de transferts, la
nature des savoirs et leurs terreaux. Les enquêtes de terrain
seraient notamment menées en collaboration avec différents membres
du Collectif RPM (Réseau Pédagogie Musique), une association
nationale qui regroupe une vingtaine de structures dédiées à
l'apprentissage et à la pratique des musiques populaires en France.
Sans préjuger définitivement du choix de ces terrains, quelques
pistes peuvent être mentionnées :
-
Du
côté du monde des spectacles, une étude sur la façon dont le
premier cinéma a emprunté au théâtre son organisation sociale et
ses conventions nous semble pertinente. Ceci afin de s'intéresser
aux transferts
qui
s'effectuent entre un monde existant et un monde émergent et de
repérer quels acteurs agissent et arbitrent ces passations.
-
Dans un même ordre d'idées, étudier la genèse de mouvements
comme la danse hip hop et/ou les arts de la rue en France
permettrait de repérer les modes de formation et la façon dont des
savoirs ont été importés et reconfigurés localement. Ceci afin
de mieux comprendre comment des mutations -tant techniques,
stylistiques qu'anthropologiques- se produisent et aboutissent à la
naissance d'un nouveau monde social.
-
Une étude pourrait être consacrée à la façon dont des
répertoires liés à une région particulière (par exemple des
“musiques du monde”) se transforment et circulent lorsqu'ils
sont intégrés au marché mondial des spectacles, par le biais
d'agents, de firmes artistiques mais aussi d'amateurs, de réseaux
techniques, d'objets.
-
Les tribute bands dans les musiques populaires, formes dont
la particularité tient à leur dimension tout à la fois locale,
thématique et internationale, pourraient également être
intéressants.
-
On
pourrait également documenter la façon dont une part significative
du monde musical professionnel favorise dorénavant les outils
analogiques d'enregistrement et de sonorisation vintage
ou reconstruits récemment au détriment de leurs équivalents
numériques.
Ces trois derniers terrains auraient l'avantage d'inclure le
territoire physique et le Web par lequel circulent nombre de
conversations, prescriptions, répertoires etc. et où s'élaborent
de nouvelles sociabilités. En outre, ils présentent l'intérêt
d'être transversaux.
À partir d'une meilleure compréhension de ces diverses formes
de savoirs (knowledge), d'acculturation et de circulation, on
pourrait alors s'interroger sur la possibilité de les modéliser
afin si besoin d'exporter dans d'autres sphères sociales leurs
formes d'intelligence collective. Au
point de vue méthodologique, cette séquence de la recherche est
résolument pluridisciplinaire, recourant tour à tour et
simultanément à la géographie sociale, à la sociologie, à
l'histoire sociale des arts et des techniques, à l'économie de la
culture et des réseaux, à l'ergonomie, à l'anthropologie des
écritures et des interfaces, aux sciences de l'information et de la
communication. Seraient également mobilisés des champs
multipolaires tels que les cultural
studies, les popular
music studies,
l'histoire sociale du cinéma et du théâtre, l'histoire et la
sociologie des sciences, les humanités numériques.
Les enquêtes menées respectivement en Allemagne, à Berlin, et en
Grande-Bretagne, à Edinburgh, pourraient également être d'une
grande utilité. En premier lieu, elles permettraient d'observer
comment des pratiques comparables sont déclinées dans un
contexte culturel, politique, institutionnel différent. Par
exemple, est-ce que la sensibilité aux questions environnementales à
Berlin se traduit par des actions plus marquées dans le monde
culturel subventionné et off ? De même, peut-on observer
dans les festivals rock en Écosse des formes de prise en compte des
questions environnementales comparables à celle que l'on connaît en
France, et ce dans un contexte où l'économie privée est plus
prégnante ? Existe t-il des formes de mutualisations dans le monde
du spectacle, par exemple en matière de déplacements, de
construction et de recyclage de décors les théâtres au festival
d'Edinburgh ? Etc.
En deuxième lieu, les études menées à l'étranger auraient pour
vocation de recueillir des modèles d'organisation (publique,
associative, informelle etc.) et d'examiner si ces pratiques
pourraient être importées et/ou amendées en France.
Enfin, et conséquemment à ce qui vient d'être dit, des
partenariats impliquant – des académiques, des professionnel-l-es,
des institutionnels, des réseaux- pourraient être initiés.
3)
Un séminaire pour définir et discuter les problématiques
liées à la transformation socio-écologique
Les sphères académiques, associatives, militantes,
institutionnelles réfléchissent depuis un certain temps aux enjeux
et problèmes liés à la transformation socio-écologique, y compris
parfois dans la sphère culturelle. Ces réflexions et acquis
gagneraient à être examinés dans la perspective d'être intégrés,
traduits, réinterprétés, critiqués, amendés par le monde du
spectacle et de la musique et les chercheur-es dédiées à ces
sphères sociales. De même, il semble important qu'au fur et à
mesure de son travail, l'équipe de recherche puisse présenter à
d'autres acteurs les résultats de ses recherches et les questions
imprévues qui ne manqueront pas de surgir.
Dans
cette perspective, l'organisation d'un séminaire
(public et enregistré) où artistes, organisateurs, chercheur-es,
institutionnels, associations confronteraient leurs expériences,
expérimentations et points de vue semble appropriée. Celui-ci
pourrait être décliné sous diverses formes : exposés et
communication, discussions à partir de scénarios présentant des
situations conflictuelles et des controverses, débats thématiques
précédés par des soumissions de textes ou de vidéos. La série de
questions ci-dessous pourrait constituer le sommaire du séminaire ;
-
Les arts, le déchet et le recyclage
-
Renouvellement, créativité artistique et durabilité
-
Pratiques artistiques et hiérarchies sociales
-
Circulation, conservation et patrimonialisation des savoirs
-
Relocalisation de la programmation de spectacles et de la fabrique
d'instruments
-
Écomusicologie
-
Low technologies et arts
Ces travaux seraient filmés, mis en ligne et librement accessibles.
4)
Synthèse et finalisation
À l'issue de ces différentes phases (groupes de travail, séminaire,
enquêtes de terrain), deux manifestations d'ampleur significatives
seraient organisées.
a)
Un colloque international
Afin de présenter et de débattre de ces différentes études de cas
et de la contribution du monde culturel dans la transformation
socio-écologique, un colloque international serait organisé.
Il comprendrait bien entendu les chercheur-es français-es,
écossais-es et allemand-es investi-es dans l'étude mais aussi des
communications de chercheur-es extérieur-es et des contributions
présentées par des personnalités et/ou collectifs ressource
invités. Le colloque donnerait lieu à la publication de deux
ouvrages, à des actes sélectionnés à l'issue de la conférence et
à un ouvrage rendant compte des études de cas.
b)
Conférence de consensus
Cette conférence élaborerait une série de préconisations
concernant les arts de la scène à l'âge de l'anthropocène et leur
contribution à la transformation socio-écologique. Seraient invités
à participer aux débats : des représentants mandatés des trois
groupes de travail, des personnalités qualifiées du monde du
spectacle, un panel d'étudiants provenant de formations dédiées
aux métiers du spectacle et à la transition socio-écologique ainsi
qu'un groupe de profanes tirés au sort. Ces derniers bénéficierait
au préalable d'une courte formation consacrée aux enjeux de la
recherche et aux terrains abordés.
5)
Résultats attendus à l'extérieur de la sphère académique
a)
Nourrir le spectacle vivant, ses filières professionnelles, les
établissements d'enseignement et les dispositifs dédiés à la
patrimonialisation
Les résultats de l'enquête pourront alimenter les réflexions et
les orientations du secteur du spectacle vivant et de la musique pour
ce qui concerne le positionnement spécifique de ces mondes vis-à-vis
de la transformation socio-écologique.
-
i) Les organismes professionnels et réseaux spécialisés tels que
les sociétés d'auteurs et de gestion de droits, syndicats de
salles de spectacles, réseaux sectoriels (musiques actuelles,
théâtre, arts de la rue etc.), fédérations d'artistes et
d'entreprises, filières professionnelles pourraient utiliser les
résultats de l'enquête afin de mieux définir les formes concrètes
de leur transition, se positionner dans les débats propres au
spectacle vivant, initier des partenariats avec des collectivités
et l'ADEME, commander d'autres études.
-
ii)
Outre les résultats généraux de l'étude, les acteurs de terrain
situés dans les territoires étudiés (festivals, salles de
spectacles, équipes artistiques et techniques, établissements
d'enseignement, associations) pourraient décliner des actions
spécifiques en direction des mondes amateurs, de leurs usagers. Ils
pourraient également soutenir la constitution de réseaux inter et
extra
culturels dédiés à la transformation socio-écologique.
-
iii)
Les résultats de l'enquête concernant les transferts
de savoir et formes d'apprentissages
pourraient être mobilisés par des institutions et associations
dédiées à l'enseignement de la musique et des arts de la scène.
Celles-ci pourraient éventuellement s'inspirer de ces “méthodes”,
organiser des sessions de formations avec leurs équipes
enseignantes afin de les inclure dans leurs pratiques pédagogiques,
insérer les questions écologiques dans les cours, des exercices
etc. Ces possibilités concernent évidemment le collectif RPM
partenaire du projet.
-
iv) Pour ce qui concerne les institutions patrimoniales et muséales,
ces dernières pourraient notamment orienter leurs politiques
d'acquisition, de conservation du côté des savoirs pratiques et
immatériels qui circulent sur la toile et sont échangés dans les
mondes artistiques. Par ailleurs, les formes de transmissions et de
partages de savoirs étudiés pourraient éventuellement inspirer
les formes d'exposition et de restitution de ces institutions ainsi
que leur réflexion générale.
b)
Informer les politiques publiques
L'étude devrait permettre aux structures, responsables locaux et
nationaux en charge des politiques culturelles, de disposer d'outils
d'analyse pour mieux faire coïncider culture et développement
durable, soutien aux professionnels et pratiques amateures, décision
publique et démocratie participative dans le champs culturel, action
territoriale et pratiques sur le Web. Enfin, on peut imaginer que les
études de cas menées en Allemagne et en Grande-Bretagne
alimenteraient la réflexion des collectivités soutenant l'étude,
voire pourraient constituer la base d'échanges et de collaborations.
Ces pistes de réflexion et d'action, pratiques autant que
théoriques, pourraient être utilement exploitées par l'ADEME et
ses directions régionales afin d'initier des opérations spécifiques
en direction du monde du spectacle et de la culture : développement
de filières nationales et locales écologiques, conseil aux acteurs
institutionnels, importation de “bonnes pratiques culturelles” et
d'innovations à l'extérieur du monde de la culture. Ainsi, à
l'occasion de la construction de nouveaux bâtiments à usage
culturel, l'ADEME pourrait suggérer aux opérateurs et usagers des
dispositifs de mutualisation, de production et d'organisation en
réseaux territoriaux, nationaux ou internationaux. De ce fait, la
“haute qualité environnementale” des constructions s'insèrerait
dans un continuum où pratiques, déplacements, production et formes
d'organisations sociales seraient également durables et innovants.